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HISTOIRE DE FRANCE

soustraire à la primatie de Tours, et lui opposa celle de Dol.

La noblesse innombrable et pauvre de la Bretagne était plus rapprochée du laboureur. Il y avait là aussi quelque chose des habitudes du clan. Une foule de familles de paysans se regardaient comme nobles ; quelques-uns se croyaient descendus d’Arthur ou de la fée Morgane, et plantaient, dit-on, des épées pour limites à leurs champs. Ils s’asseyaient et se couvraient devant leur seigneur en signe d’indépendance. Dans plusieurs parties de la province, le servage était inconnu : les domaniers et quevaisiers, quelque dure que fût leur condition, étaient libres de leur corps, si leur terre était serve. Devant le plus fier des Rohan[1], ils se seraient redressés en disant, comme ils font, d’un ton si grave : Me zo deuzar armoriq : « Et moi aussi je suis Breton ». Un mot profond a été dit sur la Vendée, et il s’applique aussi à la Bretagne : Ces populations sont au fond républicaines[2] ; républicanisme social, non politique.

Ne nous étonnons pas que cette race celtique, la plus obstinée de l’ancien monde, ait fait quelques efforts dans les derniers temps pour prolonger encore sa nationalité ; elle l’a défendue de même au moyen âge. Pour que l’Anjou prévalût au douzième siècle sur la Bretagne, il a fallu que les Plantagenets devinssent, par deux mariages, rois d’Angleterre et

  1. On connaît les prétentions de cette famille descendue des Mac Tiern de Léon. Au seizième siècle, ils avaient pris cette devise qui résume leur histoire : « Roi ne puis, prince ne daigne, Rohan suis. »
  2. App. 6.