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LOUIS-LE-JEUNE ET HENRI II (PLANTAGENET)

Le jeune roi avait été élevé bien dévotement dans le cloître de Notre-Dame[1] : c’était un enfant sans aucune méchanceté, et fort livré aux prêtres ; le vrai roi fut son précepteur, Suger, abbé de Saint-Denis[2]. Au commencement pourtant l’agrandissement de ses États, qui se trouvaient presque triplés par son mariage, semble lui avoir enflé le cœur. Il essaya de faire valoir les droits de sa femme sur le comté de Toulouse. Mais ses meilleurs amis parmi les barons, le comte même de Champagne, refusèrent de le suivre à cette conquête du Midi. En même temps le pape Innocent II, croyant pouvoir tout oser sous ce pieux jeune roi, avait risqué

  1. App. 88.
  2. Suger était né, probablement aux environs de Saint-Omer, en 1081, d’un homme du peuple nommé Hélinand. Lorsque Philippe Ier confia aux moines de Saint-Denis l’éducation de son fils Louis-le-Gros, ce fut Suger que l’abbé en chargea. — Sa conduite, comme celle de ses moines, excita d’abord les plaintes de saint Bernard (Ep. 78) ; mais plus tard il mena, de l’aveu de saint Bernard lui-même (Ep. 309), une vie exemplaire. — Il écrivit lui-même un livre sur les constructions qu’il fit faire à Saint-Denis, etc. « L’abbé de Cluny ayant admiré quelque temps les ouvrages et les bâtiments que Suger avait fait construire, et s’étant retourné vers la très petite cellule que cet homme, éminemment ami de la sagesse, avait arrangée pour sa demeure, il gémit profondément, dit-on, et s’écria : « Cet homme nous condamne tous, il bâtit, non comme nous, pour lui-même, mais uniquement pour Dieu. » Tout le temps, en effet, que dura son administration, il ne fit pour son propre usage que cette humble cellule, d’à peine dix pieds en largeur et quinze en longueur, et la fit dix ans avant sa mort, afin d’y recueillir sa vie, qu’il avouait avoir dissipée trop longtemps dans les affaires du monde. C’était là que, dans les heures qu’il avait de libres, il s’adonnait à la lecture, aux larmes et à la contemplation ; là, il évitait le tumulte et fuyait la compagnie des hommes du siècle ; là, comme le dit un sage, il n’était jamais moins seul que quand il était seul ; là, en effet, il appliquait son esprit à la lecture des plus grands écrivains, à quelque siècle qu’ils appartinssent, s’entretenait avec eux, étudiait avec eux ; là, il n’avait pour se coucher, au lieu de plume, que de la paille sur laquelle était étendue, non pas une fine toile, mais une couverture assez grossière de simple laine, que recouvraient, pendant le jour, des tapis décents. » (Vie de Suger, par Guillaume, moine de Saint-Denis.)