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HISTOIRE DE FRANCE

disait-il, mais dans l’intention, dans la conscience. Ainsi plus de péché d’habitude ni d’ignorance. Ceux-là même n’ont pas péché qui ont crucifié Jésus, sans savoir qu’il fût le Sauveur. Qu’est-ce que le péché originel ? Moins un péché qu’une peine. Mais alors pourquoi la Rédemption, la Passion, s’il n’y a pas eu péché ? C’est un acte de pur amour. Dieu a voulu substituer la loi de l’amour à celle de la crainte.

Cette philosophie circula rapidement : elle passa en un instant la mer et les Alpes[1] ; elle descendit dans tous les rangs. Les laïques se mirent à parler des choses saintes. Partout, non plus seulement dans les écoles, mais sur les places, dans les carrefours, grands et petits, hommes et femmes, discouraient sur les mystères. Le tabernacle était comme forcé ; le Saint des saints traînait dans la rue. Les simples étaient ébranlés, les saints chancelaient, l’Église se taisait.

Il y allait pourtant du christianisme tout entier : il était attaqué par la base. Si le péché originel n’était plus un péché, mais une peine, cette peine était injuste, et la Rédemption inutile. Abailard se défendait d’une telle conclusion ; mais il justifiait le christianisme par de si faibles arguments, qu’il l’ébranlait plutôt davantage en déclarant qu’il ne savait pas de meilleures réponses. Il se laissait pousser à l’absurde, et puis il alléguait l’autorité et la foi.

Ainsi l’homme n’était plus coupable, la chair était justifiée, réhabilitée. Tant de souffrances, par lesquelles

  1. App. 80.