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SUITE DE LA CROISADE. — LES COMMUNES

commençaient à venir en foule. Ces chevaliers encourageaient un homme de leur ordre qui avait battu les prêtres sur leur propre terrain, et qui réduisait au silence les plus suffisants des clercs.

Les prodigieux succès d’Abailard s’expliquent aisément. Il semblait que pour la première fois l’on entendait une voix libre, une voix humaine. Tout ce qui s’était produit dans la forme lourde et dogmatique de l’enseignement clérical, sous la rude enveloppe du latin du moyen âge, apparut dans l’élégance antique, qu’Abailard avait retrouvée. Le hardi jeune homme simplifiait, expliquait, popularisait, humanisait[1]. A peine laissait-il quelque chose d’obscur et de divin dans les plus formidables mystères. Il semblait que jusque-là l’Église eût bégayé, et qu’Abailard parlait. Tout devenait doux et facile ; il traitait poliment la religion, la maniait doucement, mais elle lui fondait dans la main. Il ramenait la religion à la philosophie, la morale à l’humanité[2]. Le crime n’est pas dans l’acte,

  1. App. 79.
  2. C’est, comme on sait, à Sainte-Geneviève, au pied de la tour (très mal nommée) de Clovis, qu’ouvrit cette grande école. De cette montagne sont descendues toutes les écoles modernes. Je vois au pied de cette tour une terrible assemblée, non seulement les auditeurs d’Abailard, cinquante évêques, vingt cardinaux, deux papes, toute la scolastique ; non seulement la savante Héloïse, l’enseignement des langues et la Renaissance, mais Arnaldo de Brescia, la Révolution.

    Quel était donc ce prodigieux enseignement, qui eut de tels effets ? Certes, s’il n’eût été rien que ce qu’on en a conservé, il y aurait lieu de s’étonner. Mais on entrevoit fort bien qu’il y eut tout autre chose. C’était plus qu’une science, c’était un esprit, esprit surtout de grande douceur, effort d’une logique humaine pour interpréter la sombre et dure théologie du moyen âge. C’est par là qu’il enleva le monde, bien plus que par sa logique et sa théorie des universaux.