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HISTOIRE DE FRANCE

de la vertu et rêvé la sainteté. Ils ont essayé de valoir mieux qu’eux-mêmes, et sont devenus chrétiens, au moins en haine des infidèles[1].

Le jour où, sans distinction de libres et de serfs, les puissants désignèrent ainsi ceux qui les suivaient, nos pauvres, fut l’ère de l’affranchissement[2]. Le grand mouvement de la croisade ayant un instant tiré les hommes de la servitude locale, les ayant menés au grand air par l’Europe et l’Asie, ils cherchèrent Jérusalem, et rencontrèrent la liberté. Cette trompette libératrice de l’archange, qu’on avait cru entendre en l’an 1000, elle sonna un siècle plus tard dans la prédication de la croisade. Au pied de la tour féodale, qui l’opprimait de son ombre, le village s’éveilla. Cet homme impitoyable qui ne descendait de son nid de vautour que pour dépouiller ses vassaux, les arma lui-même, les emmena, vécut avec eux, souffrit avec eux, la communauté de misère amollit son cœur. Plus d’un serf put dire au baron : « Monseigneur, je vous ai trouvé un verre d’eau dans le désert ; je vous ai cou-

    férentes, aient été réunies en une seule armée, Francs, Flamands, Frisons, Gaulois, Bretons, Allobroges, Lorrains, Allemands, Bavarois, Normands, Écossais, Anglais, Aquitains, Italiens, Apuliens, Ibères, Daces, Grecs, Arméniens ? Si quelque Breton ou Teuton venait à me parler, il m’était impossible de lui répondre. Mais, quoique divisés en tant de langues, nous semblions tous autant de frères et de proches parents unis dans un même esprit par l’amour du Seigneur. Si l’un de nous perdait quelque chose de ce qui lui appartenait, celui qui l’avait trouvé le portait avec lui bien soigneusement, et pendant plusieurs jours, jusqu’à ce qu’à force de recherches il eût découvert celui qui l’avait perdu, et le lui rendait de son plein gré, comme il convient à des hommes qui ont entrepris un saint pèlerinage. »

  1. App. 75.
  2. Raym. d’Agiles, « Pauperes nostri… »