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HISTOIRE DE FRANCE

moi, si j’ose aussi parler, j’entrevois, avec autant de crainte que de désir, l’époque où j’aurai terminé la longue croisade à travers les siècles, que j’entreprends pour ma patrie.

La tristesse fut grande pour les hommes du moyen âge, quand ils furent au but de cette aventureuse expédition, et jouirent de cette Jérusalem tant désirée. Six cent mille hommes s’étaient croisés. Ils n’étaient plus que vingt-cinq mille en sortant d’Antioche ; et quand ils eurent pris la cité sainte, Godefroi resta pour la défendre avec trois cents chevaliers ; quelques autres à Tripoli, avec Raymond ; à Édesse, avec Beaudoin ; à Antioche, avec Bohémond. Dix mille hommes revirent l’Europe. Qu’était devenu tout le reste ? Il était facile d’en trouver la trace ; elle était marquée par la Hongrie, l’empire grec et l’Asie, sur une route blanche d’ossements. Tant d’efforts et un tel résultat ! Il ne faut pas s’étonner si le vainqueur lui-même prit la vie en dégoût. Godefroi n’accusa pas Dieu, mais il languit et mourut[1].

C’est qu’il ne se doutait pas du résultat véritable de la croisade. Ce résultat qu’on ne pouvait ni voir, ni toucher, n’en était pas moins réel. L’Europe et l’Asie s’étaient approchées, reconnues ; les haines d’ignorance avaient déjà diminué. Comparons le langage des contemporains avant et après la croisade.

« C’était chose amusante, dit le farouche Raymond d’Agiles, de voir les Turcs, pressés de tous côtés par

  1. App. 73.