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HISTOIRE DE FRANCE

entrer, ni le comte Raymond de s’y fortifier dans quelques tours. Ils trouvèrent dans cette grande ville une abondance funeste après tant de jeûnes. L’épidémie les emporta en foule. Bientôt les vivres prodigués s’épuisèrent, et ils se trouvaient réduits de nouveau à la famine, quand une armée innombrable de Turcs vint les assiéger dans leur conquête. Un grand nombre d’entre eux, Hugues de France, Étienne de Blois, crurent l’armée perdue sans ressources et s’échappèrent pour annoncer le désastre de la croisade.

Tel était en effet l’excès d’abattement de ceux qui restaient, que Bohémond ne trouva d’autre moyen pour les faire sortir des maisons, où ils se tenaient blottis, que d’y mettre le feu. La religion fournit un secours plus efficace. Un homme du peuple, averti par une vision, annonça aux chefs qu’en creusant la terre à telle place, on trouverait la sainte lance qui avait percé le côté de Jésus-Christ[1]. Il prouva la vérité de sa révélation en passant dans les flammes, s’y brûla, mais on n’en cria pas moins au miracle[2]. On donna aux chevaux tout ce qui restait de fourrage, et tandis que les Turcs jouaient et buvaient, croyant tenir ces affamés, ils sortent par toutes les portes, et en tête la sainte lance. Leur nombre leur sembla doublé par les

  1. App. 70.
  2. Raymond d’Agiles : « Il se brûla, parce que lui-même il avait douté un instant ; il le dit au peuple en sortant des flammes, et le peuple glorifia Dieu. » Selon Guibert de Nogent, il sortit du bûcher sain et sauf, mais la foule se précipita sur lui pour déchirer ses habits et en garder les morceaux comme des reliques, et le pauvre homme, ballotté et meurtri, mourut de fatigue et d’épuisement.