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ONZIÈME SIÈCLE

Il n’est qu’un asile sûr, l’Église. C’est là que se réfugient les cadets des grandes maisons. L’Église, impuissante pour repousser les barbares, a été obligée de laisser la force à la féodalité ; elle devient elle-même peu à peu toute féodale. Les chevaliers restent chevaliers sous l’habit de prêtres. Dès Charlemagne, les évêques s’indignent qu’on leur présente la pacifique mule, et qu’on veuille les aider à monter. C’est un destrier qu’il leur faut, et ils s’élancent d’eux-mêmes[1]. Ils chevauchent, ils chassent, ils combattent, ils bénissent à coups de sabre, et imposent avec la masse d’armes de lourdes pénitences. C’est une oraison funèbre d’évêque : bon clerc et brave soldat. A la bataille d’Hastings, un abbé saxon amène douze moines, et tous les treize se font tuer. Les évêques d’Allemagne déposent un des leurs, comme pacifique et peu vaillant[2]. Les évêques deviennent barons, et les barons évêques. Tout père prévoyant ménage à ses cadets un évêché, une abbaye ; ils font élire par leurs serfs leurs petits enfants aux plus grands sièges ecclésiastiques. Un archevêque de six ans monte sur une table, balbutie deux mots de

  1. Moine de Saint-Gall. « Un jeune clerc venait d’être nommé par Charlemagne à un évêché. Comme il s’en allait tout joyeux, ses serviteurs considérant la gravité épiscopale, lui amenèrent sa monture près d’un perron ; mais lui, indigné, et croyant qu’on le prenait pour infirme, s’élança à cheval si lestement, qu’il faillit passer de l’autre côté. Le roi le vit par le treillage du palais, et le fit appeler aussitôt : « Ami, lui dit-il, tu es vif et léger, fort leste et fort agile. Or, tu sais combien de guerres troublent la sérénité de notre Empire ; j’ai besoin d’un tel clerc dans mon cortège ordinaire, sois donc le compagnon de tous nos travaux. » App. 51.
  2. C’était Christian, archevêque de Mayence ; il eut beau citer ces mots de l’Évangile : Mets ton épée au fourreau ; on obtint du pape sa déposition.