Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui est censée exercer une action simultanée dans l’espace tout entier, existe simultanément, rigoureusement parlant, dans tout l’univers. C’est ce qu’on voit clairement dans la théorie dynamique pure : l’atome de Boscovich est n’importe où plutôt que dans son « centre ». Afin de répondre à cette objection, les dynamistes se sont efforcés d’établir que, de toute manière, nous sommes obligés de supposer qu’une matière agit là où elle n’est point. Selon Kant, « toute chose dans l’espace n’agit sur une autre qu’en un lieu où le corps agissant n’est pas. Car si elle devait agir au lieu où elle est elle-même, la chose sur laquelle elle agit ne serait point alors en dehors d’elle. Même si la terre et la lune se touchaient, le point de contact serait encore un lieu dans lequel ne seraient ni la terre ni la lune[1]. » À raisonner ainsi, on perd complètement de vue la continuité de l’espace ; c’est ce qu’on voit clairement si l’on substitue à l’espace le temps. L’hypothèse de l’action à distance consiste à supposer qu’un phénomène en conditionne un autre et que rien ne se passe dans l’espace intermédiaire. Assurément, on affirmera que cet espace intermédiaire est traversé par la force. Mais les deux phénomènes étant simultanés, la force ne traverse pas l’espace, elle saute par-dessus, si l’on ose s’exprimer ainsi. Peut-on admettre quelque chose d’analogue pour le temps ? Un phénomène peut-il en conditionner un autre, à travers le temps, sans que rien soit modifié pendant les instants intermédiaires ? Apparemment non. Sans doute, nous nous exprimons souvent comme si un événement était la conséquence d’un passé lointain. Mais ce sont là des façons de parler. Au fond, nous savons fort bien qu’il a dû y avoir des modifications pendant les époques intermédiaires, bien qu’elles aient échappé à notre attention. Il ne s’agit point ici, qu’on le remarque bien, de trancher la question de savoir si le temps et l’espace sont ou ne sont pas réellement des continus ; ce qui est certain, c’est que, pour nous figurer une action, nous sommes forcés de les supposer tels[2]. Il est donc naturel de postuler que chaque

    », Schopenhauer, Die Welt als Wille und Vorstellung, éd. Frauenstaedt, Leipzig, 1877, vol. I, p. 10.

  1. Kant, Premiers principes métaphysiques de la science de la nature, traduction Andler et Chavannes, Paris, 1891, p. 46-47.
  2. On peut voir, par la suite du passage de M. J.-J. Thomson que nous avons cité plus haut (p. 68), qu’il sent très nettement que là se trouve la véritable source de la difficulté, et il semble que Faraday en ait eu également le sentiment.