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Leibniz déjà reconnut clairement que le corpuscule, s’il devait agir mécaniquement, devait être doué d’un principe d’action spécial[1]. Newton de même, comme on l’a vu plus haut (p. 56), a compris que, privé d’un principe d’action particulier, le corpuscule était incapable d’agir au choc. Il y a eu cependant quelques tentatives d’explication. La plus remarquable sans doute est celle de Denis Papin qui, dans une lettre à Huygens, formule cette hypothèse que la « matière d’elle-même n’a aucune liaison de parties et que la dureté qui s’éprouve en certains corps ne vient que du mouvement des liqueurs environnantes qui pressent les parties les moins agitées les unes vers les autres[2] ». La théorie ainsi ébauchée est analogue à celle de Leibniz sur l’élasticité, c’est-à-dire qu’elle aboutit à la multiplication indéfinie des milieux. Apparemment, aucune de ces « explications » n’est restée dans la science, puisque, en ouvrant un manuel de physique, nous y trouvons le principe actif de Leibniz admis sous le nom d’impénétrabilité.

Ainsi, nous ne gagnerions pas grand’chose à substituer les corps durs aux corps élastiques, car nous ne saurions, en fin de compte, nous représenter la résistance qu’un corps oppose à la pénétration d’un autre autrement que sous l’aspect d’un « principe d’action » mystérieux.

Enfin, voici un argument tiré directement de l’expérience. La théorie corpusculaire repose sur l’action par contact. Or, il ne se produit pas de contact réel entre deux corps. Quand un corps en a choqué un autre, il semble l’avoir touché ; mais ce n’est qu’une apparence. En réalité, au moment même du choc, les particules les plus voisines de l’un et de l’autre sont restées séparées par des espaces tout à fait appréciables. On connaît le phénomène qui se produit quand on presse une lentille contre une plaque plane, et qu’on désigne sous le nom d’ « anneaux de Newton ». La coloration de ces anneaux permet de calculer l’épaisseur de la couche intermédiaire. Au centre, là où cette épaisseur est la plus réduite, il se produit une tache noire. C’est le « contact optique » ; mais ce n’est pas encore un contact réel. On peut rapprocher davantage les deux corps, mais alors il y a adhésion[3].

  1. Cf. Appendice I, p. 407 ss.
  2. Huygens. Œuvres complètes, t. IX, La Haye, 1901, p. 429.
  3. Maxwell. On Action at a Distance. Scientific Papers. Cambridge, 1890, vol. II, p. 314.