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Nous avons vu plus haut que l’atome corpusculaire a ceci d’analogue avec les corps que nous connaissons qu’il a comme eux de la masse. Il leur ressemble encore, ou plutôt il ressemble à une classe déterminée de corps, appelés solides, en ce qu’il doit avoir une figure. Très souvent, il est vrai, les physiciens ou chimistes, en parlant de l’atome, laissent ce point dans l’indétermination, supposant tout au plus une figure vaguement sphérique[1] ; c’est simplement parce que les théories ne sont pas encore très avancées et que le manque de précision, sur ce point, n’a pas d’inconvénient. Mais il n’est pas douteux que, dans les théories corpusculaires, l’atome ne soit réellement un petit solide, et même un ultra-solide ; « ces particules solides, dit Newton, sont incomparablement plus dures que n’importe quels corps solides composés d’elles ; elles sont même tellement dures qu’elles ne s’usent ni ne se brisent jamais[2] ». Ces petits solides, cela est certain, doivent avoir une figure, occuper une partie strictement limitée de l’espace. C’est ce qui fait dire à M. Lasswitz[3] que l’atome est avant tout « une partie mobile de l’espace, dont les parties géométriques sont en repos relatif les unes à l’égard des autres ». Considéré à ce point de vue, il ne peut plus être question de cette vague unité idéale que nous postulions tout à l’heure. L’espace, à l’intérieur du corpuscule, a des parties ; comment se fait-il qu’elles soient ainsi solidaires les unes des autres, pourquoi ne se détachent-elles pas au choc, pour quelle raison un corps étranger ne peut-il pénétrer entre ces parties ?

La théorie de Descartes n’était pas, à proprement parler, corpusculaire. Cependant comme pour lui, on le sait, l’essence du corps consistait en son étendue spatiale, ce problème se posait chez lui d’une manière tout à fait analogue. Il le résolvait en supposant que cette cohésion des parties était la simple conséquence de ce qu’elles étaient en repos les unes à l’égard des autres[4]. C’était une solution peu satisfaisante et

  1. Bien entendu, les physiciens et les chimistes ont aussi quelquefois précisé, un peu à leur corps défendant, tellement cette question, à bon droit, leur apparaît ardue. Il est à peine besoin de rappeler ici les spéculations sur le tétraèdre du carbone.
  2. Newton. Opticks. Cf. la citation plus complète, plus bas p. 393.
  3. Lasswitz. Zur Rechtfertigung der kinetischen Atomistik. Vierteljahrsschrift fuer wissenschaftliche Philosophie, vol. IX, 1885, p. 151.
  4. Descartes. Principes, Paris, 1668, II, chap. LV, titre : « Qu’il n’y a rien qui joigne les parties des corps durs sinon qu’elles sont en repos en regard l’une de l’autre. »