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trer la voie par où il sera possible finalement de faire disparaître la spécificité des phénomènes chimiques ; de même enfin la théorie électrique de la masse qui rattache le phénomène mécanique au phénomène électrique. Pour mentionner encore un point particulier : la théorie purement mécanique de l’éther se trouve un peu délaissée depuis quelques années par suite de la prédominance des théories électriques ; mais on peut voir, par un travail présenté par lord Kelvin au Congrès international de physique de 1900[1], que l’opposition entre les diverses propriétés en apparence si discordantes de ce milieu hypothétique s’était déjà sensiblement atténuée. Si donc la faveur devait revenir un jour aux théories purement mécaniques — ce qui, après tout, est possible — il n’est pas dit qu’on ne trouvera pas moyen de concilier plus ou moins les divergences en question. En tout cas, cet espoir ne nous est pas interdit, car, encore une fois, on n’a jamais prouvé que la tache fût impossible.

Mais si l’on pénètre tout au fond des théories mécaniques, un obstacle se révèle d’une nature très différente de ceux dont nous venons de traiter.

Toutes les hypothèses mécaniques présentent ce trait commun qu’elles cherchent à expliquer les phénomènes de la nature à l’aide du mouvement : c’est pourquoi on les a désignées aussi quelquefois par le vocable de cinétiques, qu’on a pourtant appliqué plus souvent à une théorie particulière de l’état gazeux. Outre le mouvement, ces théories se servent encore des concepts de masse et de force, quelquefois de l’un des deux seulement, mais plus souvent des deux concurremment. Pour notre analyse, il convient de distinguer ces trois classes. Nous désignerons comme corpusculaires (terme inventé par Boyle[2] et qui semble les caractériser assez bien), celles qui ne font usage que de masse et de mouvement, et nous appelle-

  1. Lord Kelvin. Sur le mouvement d’un solide élastique, etc. Congrès international de physique de 1900, vol. II, notamment p. 21-22.
  2. Boyle. Works. Londres, 1772, vol. III, p. 5. Il est certainement regrettable, au point de vue de la clarté des nomenclatures, que les créateurs de la théorie électrique de la matière aient cru devoir employer ce terme pour désigner l’élément ultime postulé par eux. Mais on croit deviner les motifs, très probablement inconscients, qui les ont guidés. Cet élément, étant un phénomène purement électrique, n’a plus rien de proprement matériel et ne se trouve donc plus rattaché par rien à notre sensation (Cf. p. 90 et 282-283). Le nom par lequel on le désigne crée au moins un lien factice là où toute autre liaison fait manifestement défaut.