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cale a l’inconvénient d’être en contradiction avec les faits ; il suffit de jeter un coup d’œil sur l’évolution de la science pour se convaincre que la pratique des savants a été tout autre. Newton, dans les Principes, s’exprime en ces termes : « J’ai expliqué jusqu’ici les phénomènes célestes et ceux de la mer par la force de la gravitation, mais je n’ai assigné nulle part la cause de cette gravitation[1] », et plus loin : « Je n’ai pu encore parvenir à déduire des phénomènes la raison de ces propriétés de la gravité et je n’imagine point d’hypothèses[2] ». On a voulu quelquefois voir dans cet « hypotheses non fingo » une sorte de profession de foi, comme si Newton avait déclaré illégitime la recherche de l’hypothèse explicative. Parfois on s’est même imaginé que Newton avait rendu possible l’exécution de ce programme. « Toutes les hypothèses sont bannies » affirme Mussenbrœk en 1731[3], c’est-à-dire à un moment où l’autorité de Newton est à l’apogée, et c’est en exposant les théories de l’école newtonienne sur la force à distance, théories dont le caractère hypothétique est évident, que ce cri lui échappe. D’ailleurs, Newton lui-même, vers la fin de sa vie, semble assez enclin à attribuer à son célèbre énoncé un sens un peu prétentieux[4]. Or, le texte des passages mêmes que nous venons de citer prouve clairement que Newton avait recherché une hypothèse sans la trouver ; nous verrons plus tard (p. 66) que l’Optique nous a conservé des traces de ces recherches[5]. Sur ce point, tous les contemporains de Newton étaient au fond d’accord avec lui. Les uns supposaient l’existence de forces agissant à distance, alors que les autres construisaient des théories extrêmement compliquées, réduisant cette apparente action à distance à une action par contact.

    moins à ses principes et davantage à son puissant instinct scientifique. Sa conception alors se rapproche sensiblement de celle qui tend à considérer ces hypothèses comme des artifices destinés à fixer notre pensée.

  1. Newton. Principes, trad. Du Chastellet. Paris. 1759, vol. II, p. 178.
  2. Ib., p. 179.
  3. Cf. Rosenberger. Geschichte der Physik. Braunschweig, 1884, vol. III, p. 3.
  4. Cf. notamment dans Eddleston, Correspondence of Sir Isaac Newton, etc. Londres, 1850, la lettre de Cotes du 18 février 1713 et les réponses de Newton des 28 et 31 mars (p. 151-156).
  5. On trouve également dans l’Optique un exposé complet des principes de la théorie atomique (cf. plus bas p. 393). On sait d’ailleurs que dans cette œuvre la théorie de l’émission, c’est-à-dire une hypothèse des mieux caractérisées sur le mode de production, joue un rôle considérable. Cf. sur le véritable sens de la déclaration de Newton, Appendice I, p. 413.