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nous la supposions, sans lui attribuer des déductions de ce genre. L’enfant, dès qu’il sait s’exprimer, formule des pourquoi tellement abondants, qu’on est porté à croire que la tendance causale existait chez lui, obscure, bien avant la parole.

Nous allons, dans les pages qui vont suivre, rechercher quel est le rôle du postulat de causalité dans les sciences physiques. Nous espérons montrer que ce rôle est d’une importance primordiale, que ni l’évolution de la science dans le passé, ni son état présent ne s’expliquent si l’on en fait abstraction.

C’est en cherchant à comprendre le phénomène que nous appliquons le principe de causalité. C’est donc dans la partie de la science consacrée aux explications que nous devons le voir intervenir le plus manifestement.

Cette partie existe-t-elle ? Il est évident, en tout cas, qu’au point de vue des opinions de Berkeley, de Taine et de Helmholtz, elle constitue une anomalie ; du moment que la loi explique le phénomène, on ne conçoit pas qu’on cherche au delà. Il suffit d’ailleurs, pour bannir de la science toute recherche de l’explication proprement dite, de déclarer que le but assigné par nous plus haut à la partie empirique de la science, à celle qui comprend l’ensemble des lois, est celui de la science tout entière. Cette opinion a été formulée avec beaucoup de netteté par Auguste Comte[1]. Il résulte en effet du contexte du passage que nous avons cité plus haut (p. 11) que ce qu’il définit comme « l’usage des lois » lui apparaît également comme le but de « toute science ». Aussi Comte proscrit-il rigoureusement toute tentative consistant à chercher quelque chose au-delà de la loi. Il revient à plusieurs reprises sur cette interdiction qui constitue, on le sait, une des pierres angulaires de sa philosophie :

« Nous ne pouvons évidemment savoir ce que sont au fond

  1. Comte partageait-il au fond l’opinion exprimée plus tard par Taine et confondait-il la loi et la cause ? On serait tenté de le croire, en voyant que l’identité entre la pesanteur des objets terrestres et l’attraction des astres lui paraît constituer la véritable explication mutuelle des deux ordres de phénomènes (Cours, vol. II, p. 169). Cependant on verra plus loin que Comte conçoit une cause « première ou finale » distincte de la loi, bien qu’il en proscrive la recherche.