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celui d’identité était déjà parfaitement clair pour Leibniz, comme on peut le voir par l’exposé de M. Couturat[1] et comme l’indique du reste la manière dont Leibniz met en parallèle les deux principes dans le passage que nous avons cité plus haut (p. 15).

Ainsi le principe de causalité n’est que le principe d’identité appliqué au temps. Nous avons recherché, selon la parole de Leibniz « quelque chose qui puisse servir à rendre raison, pourquoi cela est existant plutôt que de toute autre façon ». Quelle peut être la raison déterminante de l’être conditionné par le temps ? Il n’y en a qu’une seule possible : c’est la préexistence. Les choses sont ainsi parce qu’elles étaient déjà ainsi antérieurement.

Il ressort nettement, semble-t-il, de ce qui précède que le principe de causalité se distingue profondément de celui de légalité. Mais une erreur aussi considérable par ses conséquences que la confusion de ces deux principes, aussi générale et partagée par tant de bons esprits, ne saurait être considérée comme écartée que si nous sommes en mesure de l’expliquer. Elle nous paraît due avant tout au sens imprécis dans lequel nous employons généralement ce terme de cause. Non pas que nous nous en servions réellement à faux. Mais constamment, par nécessité, et sans que nous en ayons conscience le plus souvent, nous nous servons en parlant des causes du trope que les Grecs appelaient synecdoque, c’est-à-dire que nous remplaçons le tout par la partie.

J’ai manqué mon train ce matin. Quelle en était la cause ? C’est que ma montre était en retard.

Assurément, si ma montre avait été à l’heure, je me serais levé plus tôt ou habillé avec plus de hâte et j’aurais pu arriver à temps. Mais si je n’habitais pas si loin de la gare, j’y serais parvenu également ; et aussi, si les fiacres à Paris avaient de meilleurs chevaux ou si le train avait eu quelques minutes de retard… Je pourrais continuer à peu près indéfiniment.

  1. L. Couturat. La logique de Leibniz. Paris, 1901, pp. 186, 208 ss. : voir aussi l’exposé fait par le même auteur à la Société française de philosophie. Bulletin IIe année, 1902, 27 fév. C’est aussi l’avis de M. Cassirer (Leibniz’ System in seinen wissenschaftlichen Grundlagen. Berlin, 1902, p. 325). Cependant le principe de l’égalité de la cause et de l’effet apparaît le plus souvent, chez Leibniz, comme indépendant et parfois il semble même prendre les apparences d’un énoncé déduit de l’expérience. Cf. Mathematische Schriften, éd. Gerhardt, vol. II, p. 308.