Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/54

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ainsi que l’indique nettement la forme grammaticale des termes quand nous disons que le soufre est fusible ou combustible. C’est donc non pas une qualité actuelle, mais une faculté et, si l’on veut bien se reporter à ce que nous avons dit plus haut, il est clair que toutes les propriétés que nous attribuons aux corps ne sont que des facultés de ce genre, toutes ne se manifestant que dans des conditions déterminées et susceptibles de se modifier si ces conditions viennent à changer.

Cela dit, on voit clairement où se trouve à cet égard la différence entre la conception purement légale de la nature et la conception causale. La loi énonce simplement que, les conditions venant à se modifier d’une manière déterminée, les propriétés actuelles du corps doivent subir une modification également déterminée : alors que, de par le principe causal, il doit y avoir égalité entre les causes et les effets, c’est-à-dire que les propriétés primitives, plus le changement des conditions, doivent égaler les propriétés transformées. Nous verrons plus tard comment la difficulté, purement spécieuse, dont nous venons de traiter, a pu créer des erreurs[1].

Quelle est l’origine du postulat causal ? Il est clair, tout d’abord, que l’instinct de conservation n’y est pour rien. Pourvu que je puisse prévoir le cours des événements, je me trouve posséder tout le savoir qui m’est nécessaire pour l’action. L’assurance de l’égalité entre les causes et les effets ne m’apporte, en elle-même, aucun enseignement utile à ce point de vue, ou plutôt elle ne m’en apportera un que dans la mesure où je pourrai, avec son aide, établir des prévisions, c’est-à-dire tirer des règles d’expérience. Il est tout aussi évident que le principe de causalité n’est pas, comme celui de légalité, confirmé sans cesse par nos sensations : il est même infirmé par elles. Tous les objets que nous connaissons se modifient sans cesse dans le temps, et nous avons la sensation très nette que notre propre individu obéit à cette même règle. Quand nous parlons de choses éternellement immuables, nous savons fort bien — à moins qu’il ne s’agisse de choses purement idéales — que nous nous exprimons inexactement. La planète sur laquelle nous vivons elle système entier auquel elle appartient nous apparaissent eux-mêmes comme se modifiant continuellement[2].

  1. Voir plus bas, p. 199 ss.
  2. Spir (cf. entre autres Pensée et réalité, p. 91) a beaucoup insisté sur ce