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mobilité ». M. Russell estime que sa « négation impliquerait des absurdités logiques et philosophiques, de sorte qu’il doit être regardé comme entièrement a priori[1]. » Ce qui est certain, c’est qu’il fait partie intégrante de notre concept de l’espace. Il est clair, d’ailleurs, que le temps n’admet aucun énoncé de ce genre. Il nous apparaît comme s’écoulant uniformément dans la même direction, et la supposition que nous pourrions nous y mouvoir librement, voyager dans le passé et dans l’avenir, implique pour le moins autant d’absurdités que la supposition contraire pour l’espace[2].

Il n’y a donc pas, sur ce point, analogie complète entre le temps et l’espace. Ce chien qui vient de naître, je sais qu’il sera adulte dans deux ans, décrépit dans vingt et mort dans trente ans au plus tard ; mais si je le transporte dans une autre partie de l’espace, il restera ce qu’il est. Sans doute, si je le place au sommet du Mont Blanc, il se trouvera incommodé et, si je le maintiens au fond d’un étang, il sera asphyxié ; mais c’est que les conditions physiques visibles du milieu auront changé et non par le simple changement de lieu. Les objets ne se modifient pas sous l’action de l’espace comme ils changent sous l’action du temps : l’expression même paraît paradoxale, choque dans le premier cas, alors qu’elle est banale dans le second. L’espace est réellement (on l’a affirmé aussi du temps, mais à tort) une « pure forme » vidée de tout contenu[3].

Tous les postulats que nous avons énumérés et qui nous sont indispensables pour formuler des lois, nous en avons encore besoin quand nous parlons de causes. Seulement, il s’y ajoute quelque chose. En effet, s’il y a toujours égalité complète entre les causes et les effets, si rien ne naît ni ne périt, c’est que non seulement les lois, mais encore les choses persistent à travers le temps. C’est ce principe qu’Aristote formule en l’appliquant, il est vrai, aux seules « substances » : « Que les subs-

  1. Russell. Essai sur les fondements de la géométrie, trad. Cadenat. Paris, 1901, p. 191.
  2. Cf. plus bas, p. 195.
  3. Spir, qui a eu le sentiment très net de la diversité entre l’espace et le temps, n’a pas défini exactement la différence des deux concepts. Ce qu’il dit de l’impossibilité de concevoir un temps vide (Pensée et réalité. Paris, 1876, p. 327-328) s’applique tout aussi bien à l’espace qui ne serait marqué par rien. L’exemple sur lequel il se base, celui de l’homme qui aurait dormi, trouve son analogue dans l’homme qui, avec le monde, aurait été transporté à travers l’espace vide.