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son apparence paradoxale, un pur truisme, puisque nous savons que, par convention préalable, la loi est indépendante du déplacement dans l’espace.

D’ailleurs nous aurions pu, par une voie plus rapide, mais peut-être par là même moins sûre, parvenir au même résultat. Observons en effet que les anciens atomistes, et Newton aussi très probablement, croyaient à l’unité de la matière. Donc pour eux également les propriétés des divers corps, si elles devaient découler de celles des atomes, ne pouvaient se déduire de celles de la matière des atomes, mais de leur figure. C’est ainsi, pour choisir un exemple concret, que Lémery attribue les qualités particulières des acides au fait qu’ils contiennent des « parties pointues[1] ». Or, la figure est une fonction spatiale, ce sont donc bien les propriétés de l’espace qu’on mettait en cause.

Ainsi, il n’est pas légitime de supposer que la ressemblance des propriétés doit forcément avoir sa source dans une identité fondamentale de la matière première. Ce serait revenir à la conception scolastique, d’après laquelle il devait y avoir dans tout individu de l’espèce chien un principe commun de « caninité », ou à la théorie prélavoisienne qui supposait dans les métaux un principe commun de métallicité. Il est certain que la nature contient un grand nombre d’objets qui se ressemblent, que nous avons le don de saisir cette ressemblance, de généraliser et de déduire ainsi des règles. Si nous nous arrêtons là, si nous nous abstenons de les « expliquer », d’en vouloir rechercher les causes, nous ne parviendrons pas aux conceptions atomiques ; que si, au contraire, nous nous lançons dans cette recherche, nous arriverons à attribuer de plus en plus les propriétés du composé à la vertu du groupement, et non pas à celles du composant que nous dépouillons au contraire graduellement de toute qualité[2] ; l’élément pri-

  1. Cf. p. 361. — Le contemporain de Lémery, Sylvius (De le Boë) déduisait au contraire les propriétés des acides de ce qu’ils contenaient de la « matière ignée ». On voit ainsi nettement que le procédé du mécanisme qui consiste à attribuer les propriétés à la vertu du groupement s’oppose à celui des théories qualitatives qui maintiennent la propriété dans le composant.
  2. C’est pour avoir entièrement méconnu cette « vertu du groupement », qui est une conception fondamentale de la science explicative, que Hannequin (Essai critique, p. 229, 237) arrive à affirmer que la science transporta toujours à l’atome les qualités requises par le tout qu’il compose — ce qui est dénier à la théorie mécanique toute utilité et tout sens possibles. M. Dastre, au contraire, insiste à juste titre sur l’importance de cette considération du groupement (La vie et la mort, p. 35, 237).