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C’est sur le même postulat de la simplicité de la nature que s’appuie une objection fondamentale que l’on formule quelquefois contre l’atomisme et dont Stallo notamment paraît faire grand cas[1]. En formulant la théorie atomique d’un gaz, on cherche évidemment à expliquer cet état de la matière par l’état solide ou, si l’on veut, par l’ultra-solide (p. 58 ss.). Or, il est aisé de s’en rendre compte, partout et toujours, — qu’il s’agisse de phénomènes purement physiques, tels que le changement de volume en fonction de la pression et de la température, la diffusion, la chaleur spécifique, où même de réactions chimiques (loi de Gay-Lussac), — les lois qui régissent l’état gazeux sont plus simples que les lois applicables à l’état solide de la matière. Donc, conclut-on, « s’il y a un état typique et primaire de la matière, ce n’est pas l’état solide, mais l’état gazeux » et par conséquent « c’est la forme gazeuse qui fournit une base pour l’explication de la forme solide, et non pas du tout le solide qui peut servir à expliquer le gaz[2] ».

Cette objection, à la lumière de ce que nous venons d’établir, nous apparaît comme purement spécieuse. Elle suppose implicitement que le phénomène plus simple doit être par là même plus primordial. Or, nous venons de le voir, la simplicité peut ici n’être que statistique, et comme le nombre des molécules dans un centimètre cube de gaz est incomparablement plus grand que celui des individus humains dans n’importe quelle agglomération que nous connaissions ou dont nous puissions même supposer l’existence dans l’avenir, et que la régularité des phénomènes croît évidemment en fonction de ce chiffre, il n’est pas étonnant que les lois qui régissent les gaz soient bien plus régulières que celles de la statistique humaine.

Dans le même ordre d’idées, il est certain que, si nous n’adoptons pas le mécanisme pour guide, nos raisonnements analogiques erreront pour ainsi dire sans boussole dans le champ illimité des possibilités. On le voit clairement dans les étranges hypothèses des Naturphilosophen et c’est là ce qui a rendu si stériles leurs raisonnements. Cependant on ne saurait prononcer ici un jugement trop absolu. Les analogies entre la nature et notre entendement sont multiples et profondes. Un

  1. Stallo, l. c., p. 132 ss.
  2. Ib., p. 134.