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parce que nous avons l’habitude de nous en servir et que nous en possédons même des tables ; mais si nous étions obligés de l’exprimer sous une forme purement arithmétique, par un polynôme, elle serait très compliquée. Nous découvrirons peut-être demain un procédé nouveau de calcul mathématique qui nous fera paraître simples les problèmes qui nous embarrassent actuellement. Il y a là, de toute évidence, un élément accidentel qu’il semble bien difficile d’attribuer à la nature. D’ailleurs, au fond, nous ne le faisons pas. Quand un astronome, péniblement, par des approximations successives, calcule les « perturbations » dont les planètes sont cause les unes pour les autres, il n’a pas le moindre doute que la nature résout ce même problème instantanément, avec une exactitude absolue et sans difficulté aucune. Comme l’a dit Fresnel, « la nature ne s’est pas embarrassée des difficultés d’analyse[1] ». C’est ce qui fait que M. Poincaré estime qu’elle « a donné trop de démentis » à ceux qui proclamaient qu’elle aime la simplicité[2] et que M. Duhem, de même, arrive à la conclusion que la simplicité « si ardemment souhaitée, est une insaisissable chimère[3]. »

Ajoutons que, comme l’a indiqué M. Poincaré dans le passage que nous avons cité plus haut (p. 379), là même où la nature nous paraît simple, ce peut être une pure apparence, la simplicité peut fort bien recouvrir une réelle diversité de faits très nombreux ; elle serait alors statistique. Quand nous voyons, d’un peu loin, une foule s’écouler par une ouverture, nous découvrons sans peine que le phénomène a une allure tout à fait régulière ; pourtant chacun des individus qui la composent exécute des mouvements fort divers. De même, la régularité des naissances et des décès dans des agglomérations un peu importantes recouvre un ensemble de faits particuliers à chaque individu.

  1. A. Fresnel. Mémoire sur la diffraction de la lumière. Mémoires de l’Académie royale des sciences, années 1821-1822, vol. V, p. 340. — À noter cependant que Fresnel entend rejeter uniquement des considérations fondées sur la simplicité du calcul ; la simplicité des hypothèses lui paraît au contraire un critérium de la vérité. La nature « a évité la complication des moyens », elle « paraît s’être proposé de faire beaucoup avec peu : c’est un principe que le perfectionnement des sciences physiques appuie sans cesse ».
  2. Poincaré. Thermodynamique, p. VII.
  3. Duhem. L’évolution de la mécanique, p. 343.