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fait ressortir qu’on trouvait là chez Aug. Comte un véritable dogme et a démêlé les fondements de cette croyance[1]. Ils sont à peu près étrangers à la philosophie des sciences physiques, ayant leur origine dans une conception sociologique. Comte était extrêmement préoccupé de l’idée de l’ordre ; il l’avait placée au centre même de son système. Ayant repoussé les traditions théologiques, il ne pouvait fonder l’ordre que sur l’expérience. Il fallait donc que celle-ci pût parvenir à établir des principes définitifs et des lois inébranlables dans la suite. La loi, telle que la comprend réellement la science, est une construction idéale et une image, transformée par notre entendement, de l’ordonnance de la nature ; elle ne saurait donc exprimer directement la réalité, lui être véritablement adéquate. Elle n’existait pas avant que nous l’ayons formulée et n’existera plus quand nous l’aurons fondue dans une loi plus large. Supposer qu’une règle empirique conçue par nous ne sera plus modifiée dans l’avenir, c’est au contraire affirmer que cette règle existe objectivement, dans la nature elle-même : car on ne saurait prétendre que dans la connaissance des règles nous ne pourrons jamais dépasser des limites définies, étant donné qu’il n’y a nulle possibilité de tracer ces limites, ni même d’en concevoir l’existence. Ainsi, on affirme que la nature, sur ce point, est en accord avec la pensée. Or, celle-ci, en formulant des lois, doit en effet se laisser guider par des considérations de simplicité. C’est donc qu’en dernier lieu on attribue ces mêmes considérations de simplicité à la nature. Observons d’ailleurs que toute définition de simplicité ne peut être que relative aux facultés de notre esprit, aux moyens dont il dispose, à ses habitudes. Comme M. Le Roy l’a fait ressortir[2], la fonction du sinus qui entre par exemple dans la loi de la réfraction nous paraît simple,

  1. Milhaud. L’idée d’ordre chez Auguste Comte. Revue de métaphysique, IX, 1901, p. 539. — M. Lévy-Bruhl. La philosophie d’Auguste Comte, 2e éd. Paris, 1905, p. 3, constate de même que chez Comte « l’intérêt scientifique, si vif qu’il soit, se subordonne à l’intérêt social ». Cf. ib., p. 5, 25. — Il semble, en effet, que cette conviction particulière de Comte ne découle aucunement de sa conception de la science qui aboutirait plutôt à considérer justement les lois comme l’expression éphémère de l’état momentané de la science d’une époque (Cf. Cours, vol. VI, p. 600-601, 622, 630, 642), les restrictions (ib., p. 601, 623) apparaissant comme quelque chose d’étranger au corps même de la doctrine. Il n’empêche que, comme nous l’avons indiqué plus haut (p. 373), l’erreur n’eût pu se produire si Comte n’avait proscrit toute recherche théorique.
  2. É. Le Roy. Un positivisme nouveau. Revue de métaphysique, IX, 1901, p. 146.