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bien qu’à cet égard les théories électriques, qui supposent une action de proche en proche, mais dont la nature mécanique n’est pas déterminée, constituent la solution la meilleure. Mais en attendant que cette solution soit fermement établie et universellement acceptée, les savants ont raison de se servir dans leurs théories, sans trop de scrupules, à la fois de corpuscules et d’actions à distance, en négligeant momentanément les contradictions auxquelles ils aboutissent.

Et de même, ils font bien de ne pas trop chicaner sur les « supercheries » inconscientes des théories que nous avons signalées, telles que celle qui considère l’éther à la fois comme identique et comme différencié (p. 232). Ce sont là de simples conséquences de l’instinct causal qui aboutit à l’illusion causale, et elles se justifient par l’accord partiel entre notre pensée et la réalité. Comme l’a dit M. Duhem « aucun enseignement de la physique ne peut (nous ajoutons : et ne pourra jamais) être donné sous une forme qui ne laisse rien à désirer au point de vue logique[1] ». Dans le même ordre d’idées, il ne faut pas trop s’étonner si les physiciens sont amenés à se servir, côte à côte, de deux ou même de plusieurs théories contradictoires ou de modèles mécaniques disparates, comme l’a fait Maxwell entre autres. Sans doute, c’est toujours un inconvénient, une théorie bien ordonnée et logique sera infiniment préférable, parce que, étant plus vraie, il y a beaucoup de chances pour qu’elle nous rende plus de services. M. Duhem a donc certainement raison de protester contre l’abus de ces procédés[2] ; mais peut-être ne faut-il pas être trop rigoureux en cette matière. Dans une science comme celle de l’électricité qui est en voie de développement rapide, des procédés un peu irréguliers de ce genre peuvent rendre de grands services. Il faut ajouter que, comme le sens commun ne peut nous y être directement d’aucun secours puisque l’organe de sensation immédiate nous fait défaut, des images matérielles quelles qu’elles soient sont souvent indispensables pour soutenir notre imagination défaillante.

Toutefois, en se servant des théories atomiques, il serait bon que le savant eût clairement conscience de la nature de ces conceptions, des éléments aprioriques qu’elles recèlent. Il comprendrait mieux alors que leur fond est immuable,

  1. Duhem. La théorie physique, p. 424.
  2. Ib., p. 145 ss.