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On peut, nous l’avons vu, démontrer le principe d’inertie expérimentalement, et toute la partie de la mécanique qui en dépend peut par conséquent être traitée, conformément au programme de Kirchhoff, en « science descriptive ». Mais, pour la conservation de l’énergie, nous avons trouvé les démonstrations expérimentales insuffisantes ; si donc on se base uniquement sur ces preuves, en partant des travaux de Joule et en négligeant tout le développement antérieur, on ne commet pas seulement une hérésie au point de vue historique[1], on risque en outre de fausser complètement la signification et la portée du principe.

De plus, exposés sans hypothèses, les résultats expérimentaux nous apparaissent comme quelque chose de définitif, d’achevé, sans que nous apercevions la voie qui y a mené, ni celle qui pourra nous conduire plus loin ; car la science n’est pas baconienne et l’expérience seule, sans le secours de l’hypothèse, ne saurait y mener bien loin. C’est ce qui fait que l’image de la science ou d’une partie de la science que l’on nous offre ainsi sera en quelque sorte statique, alors que la science se trouve en réalité dans un flux perpétuel, est dynamique.

Nous avons vu (p. 5 ss.) que, pour Comte, certaines lois présentaient en effet ce caractère du définitif, qui lui faisait interdire toute recherche susceptible de les modifier ; et il est clair que cette conception eût été impossible sans son horreur pour toute théorie.

Sans vouloir par conséquent proscrire les tentatives dont nous venons de parler, surtout dans l’exposé de chapitres de la science se trouvant dans une phase d’évolution très avancée, nous croyons que le savant doit, chaque fois que le développement l’exige, user dans une grande mesure de considérations cinétiques. Il est certain qu’au point de vue même de la science expérimentale la plus stricte, nous avons grand intérêt à suivre jusqu’au bout les déductions causales, fussent-elles les plus abstraites en apparence. Boltzmann, en exposant les spéculations dont nous avons parlé à propos du principe de Carnot, a très justement insisté sur ce fait qu’il ne fallait pas les considérer comme oiseuses, car elles peuvent suggérer

  1. Helmholtz (Vortraege und Reden. Brunswick, 1896, p. 407) insiste particulièrement sur le fait que les principes directeurs dont il s’était inspiré dans son travail de 1847 sur la conservation de l’énergie ne lui paraissaient « nullement nouveaux, mais au contraire très vieux ».