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Certes, les traités de physique mathématique en sont remplis à l’heure actuelle. Mais ou devine quelquefois chez les auteurs comme une sorte de gêne : sentant que leurs représentations spatiales aboutissent à des contradictions, ils s’excusent d’en user. Ainsi M. Van’t Hoff, qui est l’un des auteurs de la théorie de l’atome de carbone dissymétrique, a l’air de regretter qu’on soit obligé de se servir de la conception moléculaire dont il fait ressortir le caractère hypothétique. Cette nécessité lui paraît d’ailleurs provisoire[1]. Maxwell, qui a tant fait pour le développement des conceptions mécaniques, dont l’œuvre principale — son traité de l’électricité — est, ainsi que le constate précisément M. Poincaré[2], dominé par la préoccupation de démontrer dans chaque cas particulier la possibilité d’explications mécaniques, qui a, au moins partiellement, réussi à les introduire dans le domaine du principe de Carnot qui leur semblait fermé, Maxwell lui-même cède quelquefois à cette tendance. Dans son Allocution aux sections mathématique et physique de l’Association Britannique, avant de donner un bref et brillant exposé de la théorie cinétique des gaz, il prévient ses auditeurs que ce n’est qu’une image, une « illustration » et qu’elle n’est utile que comme telle. Il y a des hommes qui peuvent se passer de cette aide, et Maxwell admet implicitement que c’est une supériorité ; mais la majorité en a besoin et la science doit satisfaire à la fois les uns et les autres[3]. M. Duhem, qui a reconnu si clairement le caractère essentiel des théories (cf. chap. xi, p. 342 ss.), déclare de même que l’emploi des théories mécaniques est une question de commodité personnelle[4]. Ces réserves paraissent injustifiées. Sans doute il est possible, en négligeant complètement le développement naturel de la science, de donner à certaines de ses parties l’apparence de l’empirisme pur. Des tentatives de ce genre seront toujours intéressantes comme tout ce qui procède logiquement d’un point de vue unique. Un tel exposé aura en outre l’avantage de nous faire voir clairement les résultats acquis. Mais il entraîne aussi des inconvénients.

  1. Van’t Hoff. Leçons de chimie physique, trad. Corvisy, 1re partie. Paris, 1898, p. 9.
  2. Poincaré. Électricité et Optique. Paris, 1901, p. IV-VIII. — Cf. La science et l’hypothèse, p. 249.
  3. Maxwell. Scienfific Papers, vol. II, p. 219).
  4. Duhem. L’évolution de la mécanique, p. 186.