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mile l’effet à la conséquence nécessaire, logique. Mais Spinoza, qui connaissait les mathématiques, n’était pas physicien et s’est prudemment abstenu d’appliquer ce principe à la science. Leibniz, nous l’avons vu, était fortement convaincu que tout, dans le monde physique, devait se passer mechanice ; il croyait aussi à la domination absolue de la raison suffisante et la formule où il énonce cette opinion et que nous avons citée (p. 15) revient au fond à celle de Spinoza ; mais d’un génie plus compréhensif et moins absolu que ce dernier, il affirme d’autre part qu’il y a des vérités contingentes qui exigent une analyse infinie et que pour cette raison Dieu seul peut connaître comme nécessaires[1].

Au xixe siècle, Hegel, tout en proclamant par une sorte d’illogisme que la métaphysique devait suivre l’expérience et non la précéder, revient pourtant, en ce qui concerne l’intelligibilité de la nature, au postulat de Spinoza et essaie de déduire réellement a priori le système entier des idées productrices de la nature[2] ; et l’on sait que H. Taine s’est proclamé hautement son disciple, du moins au point de vue du postulat d’intelligibilité.

Quels ont été, au point de vue de la science, les résultats des efforts de déduction tentés par tant et de si puissants esprits ? Mettons à part les principes mêmes des théories cinétiques qui doivent être, en effet, attribués à une déduction : il ne nous reste plus que cette espèce de pressentiment des principes de conservation dont nous avons parlé et qui semble en effet avoir conduit, dès l’antiquité, à l’affirmation de la conservation du poids de la matière. Mais toute tentative de déduction totale de la nature est restée lamentablement vaine. L’œuvre de Descartes constitue sans doute l’effort le plus prodigieux que l’humanité ait tenté dans cet ordre d’idées. Devant cette construction colossale, cyclopéenne, on se sent pénétré d’un respect presque religieux. Mais, hélas ! ce palais est une ruine irrémédiable. Qui croit encore aux tourbillons cartésiens, aux trois matières élémentaires ou aux parties

    déjà avait dit : « Primo dunque voglio che notiate essere una e medesima scala per la quale la natnra discende a la produzion de le cose e l’inteletto ascende a la cognizion di quelle. » De la causa, éd. Wagner. Leipzig, 1890, p. 285.

  1. Leibniz. De scientia universali. Opera philosophica, éd. Erdmann, p. 83.
  2. Hegel. Vorlesungen ueber die Naturphilosophie. Werke. Berlin, 1842, vol. VII. Préface de Michelet, p. 15.