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la conservation de l’énergie. C’est au point que si, d’un côté, ces principes paraissent simplement formuler un savoir que l’humanité aurait possédé de tout temps, de l’autre ils dépassent pour ainsi dire les limites mêmes de l’espoir qu’on était en droit de concevoir. Ainsi la chaleur et la lumière auraient bien pu être des mouvements, conformément au postulat du mécanisme universel, sans qu’il fût possible de convertir ces mouvements des particules en mouvements de masse, ou vice versa. C’était là à peu près la conception de Leibniz et de Huygens et en général de la plupart des physiciens mécanistes, avant l’établissement de la conservation de l’énergie. Cette dernière découverte constitue une confirmation proprement inattendue. De même, le mécaniste le plus déterminé n’eût osé espérer au xixe siècle, avant les travaux de M. Gouy, que l’on parviendrait à rendre directement visible, par ses effets mécaniques les plus immédiats, l’agitation des molécules.

Ces concordances surprenantes n’ont pas été sans attirer l’attention des penseurs. Nous avons vu (chap. ii, p. 81) que Cournot, en constatant la pérennité des théories atomiques, en avait conclu qu’il était possible que ses inventeurs fussent « tombés de prime abord sur la clef même des phénomènes naturels ». D’autres fois, il croit pouvoir inférer de la conservation du poids de la matière que l’idée de substance n’est pas seulement une abstraction logique, mais qu’elle « a son fondement dans l’essence des corps[1] ». On peut citer, chez nombre de physiciens contemporains, de ces remarques par lesquelles ils expriment leur étonnement de la concordance entre les conceptions de l’esprit et les résultats des recherches expérimentales. L’observation de M. Poincaré sur les phénomènes irréversibles, que nous avons citée plus haut, appartient déjà à cet ordre d’idées. Une autre fois, cet éminent théoricien s’émerveille à bon droit de l’analogie surprenante entre l’oscillation électrique et le mouvement du pendule[2]. Boltzmann constate que « toutes les conséquences de la théorie mécanique de la chaleur, même celles appartenant aux domaines les plus disparates, ont été confirmées par l’expérience ; on peut même dire qu’elles concordaient étrangement, jusque dans leurs nuances les plus fines, avec le pouls de la

  1. Cournot. Traité de l’enchaînement. Paris, 1861, p. 157.
  2. H. Poincaré. La science et l’hypothèse, p. 191.