Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

posé de parties discrètes, c’était pure conception apriorique ; aucun fait connu à l’époque ne confirmait cette opinion, tout, au contraire, semblait démontrer que l’air était un continu. Or, nous pouvons maintenant établir expérimentalement que cette dernière opinion est insoutenable, que les gaz ont réellement une structure, sont discontinus[1]. De même les chimistes du xixe siècle en s’attachant, par un espoir tenace, à l’hypothèse de l’unité de la matière, allaient à l’encontre des faits expérimentaux les mieux établis et qui formaient la base même de leur propre doctrine. Cependant, voici que les phénomènes se rapportant aux rayons cathodiques, à la matière radiante, etc., tendent à fournir à cette hypothèse un fondement expérimental. Ce qui s’est passé à propos de la réversibilité des réactions chimiques rentre dans le même ordre d’idées. Il est certain (les idées de Berthollet étant restées à ce point de vue à peu près sans influence sur la marche de la science) que cette notion était tout à fait étrangère à l’esprit d’un chimiste, vers le milieu du xixe siècle ; et rien n’était moins justifié à ce point de vue que l’emploi du signe d’égalité pour réunir les deux termes de ce qu’on appelle une « équation chimique » (p. 205 ss.). Ce signe, manifestation palpable de la tendance causale, exprimait un postulat ou, si l’on veut, un espoir qui, à la lumière des théories alors régnantes, était irréalisable ou plutôt absurde, puisqu’il était entendu que les deux côtés de l’équation indiquaient l’un l’état initial et l’autre l’état final du phénomène, qui devait toujours se passer dans le même sens, sans aucun espoir de retour. Il n’en est que plus étonnant de constater que cet espoir quasi-chimérique s’est, dans une certaine mesure, réalisé : les réactions chimiques nous apparaissent aujourd’hui comme généralement réversibles et nous pouvons alors réellement remplacer le signe d’égalité dont le sens a été faussé, par les deux flèches de M. Van’t Hoff.

Mais le phénomène le plus frappant, le plus merveilleux dans cet ordre d’idées, c’est l’existence des principes de conservation. En vertu de la tendance causale, l’humanité les avait pressentis ; elle avait formé le concept de l’atome-substance bien avant toute expérience sur la conservation de la matière et concevait vaguement des systèmes mécaniques impliquant la persistance du mouvement, avant l’inertie et

  1. Cf. O. Reynolds. Proceedings of the Royal Society, vol. XXVIII, 6 février 1879.