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de la conservation de la masse ne ressemble en rien à celui de Carnot et est tout à fait analogue au principe de la conservation de l’énergie ? Les anomalies expérimentales découvertes pour le premier de ces principes ne sont certainement pas moindres que celles constatées pour le dernier. Sans parler du fait que, comme l’observe justement M. Étard[1], les concepts de matière et d’énergie sont indissolublement liés pour nous, au point que la destruction de l’un entraîne la disparition de l’autre : pour m = 0, mv² s’annule également, la vitesse devant évidemment rester finie. Et comment d’ailleurs s’imaginer l’énergie n’ayant pas pour substrat la masse ? Dans ces conditions, ériger la conservation de l’énergie en fondement inébranlable d’une théorie du monde et supposer que la conservation de la masse n’est qu’une apparence que les faits se chargeront de démentir, semble vraiment contraire à toutes les règles de la logique.

Constatons d’ailleurs que M. Ostwald, en formulant sa théorie énergétique, se mettait en contradiction avec les principes généraux qu’il avait lui-même proclamés. Ces principes, nous l’avons vu par un passage cité au début de cet ouvrage (chap. i, p. 2) sont ceux d’Auguste Comte. Ils se résument dans l’affirmation que la loi seule suffit pour l’explication du phénomène ; c’est donc le hypotheses non fingo, poussé jusqu’à l’abandon, la proscription de tout ce qui va au delà de la loi. Est-il besoin de démontrer que l’hypothèse énergétique, telle que la conçoit M. Ostwald, ne rentre pas dans ce cadre ? Plus et mieux que les atomes de n’importe quel théoricien mécaniste, l’énergie du savant de Leipzig est un véritable être ontologique, une chose en soi[2]. Elle existe absolument, indépendamment de toute autre chose, embrassant la substance et l’accident, l’espace et la cause, étant elle-même sa propre cause, causa sui, et causant le monde phénoménal tout entier. Le fait qu’un esprit aussi éminent que M. Ostwald, en dépit de sa profession de foi si nette, n’ait pu se cantonner dans le domaine de la loi pure, qu’il ait cherché, en dehors de celle-ci, à constituer un véritable système d’explications, est certes des plus significatifs. Et il est également digne de remarque qu’une fois sorti de la stricte légalité, il ait aussitôt

  1. Étard. Les nouvelles théories chimiques. Paris, s. d., p. 12.
  2. Cf. notamment Vorlesungen, p. 242, où M. Ostwald, protestant contre toute autre supposition de « chose en soi », démontre que seule l’énergie doit être considérée comme telle.