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diaires. La conception de chaleur-fluide a rendu de grands services aux physiciens du xviiie siècle, elle a permis d’établir les lois de la mixtion, d’étudier les conditions du changement de l’état d’agrégation, etc. On sait que Carnot encore s’en est servi dans son célèbre opuscule. Comme il a, dans une note, reconnu qu’il considérait la chaleur comme un mouvement, on en a inféré quelquefois qu’il n’avait fait usage de la notion de chaleur-fluide que pour se conformer à l’opinion générale du public savant de son temps. C’est peut-être conclure un peu hâtivement. On semble bien deviner, en lisant attentivement les Considérations, que la conception de la chaleur en tant que fluide cherchant à s’épandre ne lui a pas été entièrement inutile. Ce qui est certain, c’est que des conceptions mécanistes n’auraient pu lui rendre, en l’occasion, aucun service : elles l’auraient plutôt gêné, car il est difficile de faire cadrer le mécanisme strict avec le principe de Carnot (chap. viii, p. 254). Il reste, nous l’avons vu, dans la science et notamment en chimie, de ces conceptions qualitatives ; il n’est pas dit quelles ne soient pas destinées à rendre encore des services considérables. Elles s’arrêtent à l’explication du devenir et n’aspirent pas à donner celle de l’être, elles sont donc l’expression d’une application moins étendue du principe d’identité que les théories mécaniques ; elles peuvent quelquefois guider la pensée scientifique là où justement, comme pour le principe de Carnot, le principe d’identité absolue est nécessairement en défaut.

Un trait distinctif des théories qualitatives, comparées avec les théories mécaniques, c’est qu’elles admettent le continu : tant qu’on croyait que la chaleur et l’électricité étaient des fluides, une constitution atomique ne paraissait nullement s’imposer pour l’une ni pour l’autre. C’est là, remarquons-le en passant, un argument contre la thèse d’après laquelle ce seraient les mathématiques qui introduiraient le discret en physique. Pour nous, la cause de cette distinction gît dans la déduction que nous avons présentée plus haut (chap. ii, p. 85). L’atome discret devient nécessaire quand nous attribuons le changement à l’arrangement de parties, qui doivent être immuables dans le temps et, étant étendues par essence, conserver indéfiniment leurs propriétés spatiales qui ne peuvent dès lors être que définies. Les qualités hypostasiées, au contraire, ne sont nullement spatiales par essence. Si je me figure la chaleur comme un fluide, je ne lui attribuerai pas