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rique » fluide semi-matériel, porteur d’une qualité, appartient à la même famille que le phlogistique, et quant aux corpuscules lumineux de Newton, leur parenté avec les atomes qualitatifs de Bérigard est également manifeste.

Convient-il de s’étonner que la science, dans cet ordre d’idées, ait évolué avec beaucoup de lenteur, qu’elle n’ait abandonné que pas à pas et, pour ainsi dire, à son corps défendant, ainsi que cela s’est produit pour la théorie du phlogistique, des doctrines qui nous paraissent complètement insoutenables ? Il suffit au contraire de réfléchir sur la véritable nature de nos conceptions de la qualité pour comprendre à quel point ces doctrines étaient conformes aux postulats fondamentaux de notre esprit.

Quand, partant soit d’une expression immédiate de nos sens, soit d’une série de phénomènes observés, nous parvenons à douer un corps d’une propriété, quand nous disons : ce corps est rouge ou il est inflammable et que nous voyons cette propriété naître et disparaître dans le corps, nous éprouvons certainement la tendance, pour peu que cette qualité nous semble suffisamment importante, à poser la question : d’où vient-elle, qu’est-elle devenue ? Sans doute, comme nous l’avons dit plus haut, cette question ne se posera pas pour la rondeur ; mais on la formulera pour la chaleur. Or, en l’énonçant, nous indiquons que nous sommes disposés à considérer la chaleur comme quelque chose qui persiste dans le temps et qui n’amène par conséquent de changements qu’en se déplaçant. C’est hypostasier la qualité et lui attribuer le caractère d’une substance, et ce mode d’explication du phénomène est celui que notre tendance causale nous suggérera invinciblement, à moins que nous n’ayons au préalable détruit à dessein la qualité par la conception du mécanisme universel, qui est elle-même une émanation du principe causal.

D’ailleurs l’explication par le transport d’une qualité a quelque chose d’immédiat, de complet et de satisfaisant, avantages qui ne se retrouvent pas au même degré dans les explications mécaniques. On s’en convaincra en comparant la manière dont les rapports entre les propriétés des éléments et celles des composés sont traités par la chimie contemporaine avec le procédé dont usaient à cet égard les théories de la qualité.

Nous avons constaté (chapitre vii, p. 217 ss.) que l’étude des rapports entre les propriétés des éléments et celles de leurs