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reconnaître que les modifications de teinte telles que celle produite par l’orpiment auri pigmentum ne sont qu’apparentes, et qu’on se convainc de la futilité de toutes les prétendues recettes, on arrive à concevoir qu’il peut y avoir là des substances élémentaires différant essentiellement les unes des autres. Ce ne sont pas encore les métaux eux-mêmes qui sont considérés comme éléments, mais leurs « chaux ». Le fait que ces dernières, dans nos conditions atmosphériques, sont dans bien des cas plus stables que les métaux eux-mêmes, y a probablement contribué. Mais il convient, sans doute, d’en rechercher la principale raison dans le besoin qu’on éprouvait d’attribuer les multiples traits communs des métaux à un élément commun. Cet élément hypothétique dont on suppose l’existence non seulement dans les métaux, mais encore dans tous les corps inflammables, c’est le phlogistique : il a hérité des facultés que les chimistes attribuaient autrefois à leurs divers éléments. « Ils en font le principe des odeurs, des couleurs, de la saveur, de la volatilité, de la fusibilité, de la dissolubilité, etc.[1] » » constate un auteur contemporain de Lavoisier, peut-être Lavoisier lui-même, et le fait observé par Stahl[2] que l’inflammabilité est susceptible de se transmettre d’un corps à un autre semblait confirmer directement cette manière de voir.

De même, un croit que tous les acides contiennent un « acide primitif[3] » tous les sels un « sel fossile[4] », toutes les chaux terreuses une « substance terreuse unique[5] ».

Nous avons vu plus haut (p. 215 ss.) avec quelle lenteur s’élaborait la nouvelle notion de l’élément chimique. Le phlogistique semble d’abord y échapper ; Kopp constate avec une certaine surprise que les chimistes, tout en croyant fermement à son existence, ne semblent faire aucune tentative pour l’isoler[6]. C’est que le phlogistique était au fond un héritage des époques antérieures, ce n’était pas un élément dans

  1. Cf. Berthelot. La révolution chimique. Paris, 1902, p. 54.
  2. Cf. Kopp. Geschichte, vol. III, p. 307. C’était l’expérience fondamentale de la théorie du phlogistique, expérience qui avait pour cette conception la même importance que celle de l’oxydation des métaux en vase clos a eue plus tard pour les antiphlogisticiens.
  3. Kopp. Geschichte, vol. III, p. 15. — Stahl affirme même avoir transmué l’acide sulfurique en muriatique et nitrique, cf. ib., p. 352.
  4. Ib., vol. III, p. 75.
  5. Ib., vol. III, p. 143.
  6. Ib., vol. I, p. 150.