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propriétés. Ainsi, en ôtant successivement à l’étain son cri, sa mollesse, sa fusibilité qui le distinguent de l’argent, ou le transformera en ce dernier métal[1] auquel il est supposé être étroitement apparenté, sans doute à cause de la couleur commune. Pour d’autres métaux il faudra avant tout, afin de les muer en argent ou en or, modifier leur couleur. C’est la leucosis ou la xanthosis, selon qu’il s’agit de blanchir ou de jaunir, et toute opération chimique qui semble modifier la teinte d’un métal prend aussitôt une grande importance aux yeux des chercheurs[2]. Le mercure, à cause sans doute de sa fluidité qui semble paradoxale, paraît à certains un excellent point de départ pour des changements de propriétés. On parle de le « durcir » et l’on produit des recettes multiples dans ce but ; Boyle croit qu’il peut se transformer, sans addition de métal, en une substance pareille à l’argent[3] et même Macquer, dans le Dictionnaire de chimie de 1778, affirme le « durcissement » du mercure par des vapeurs de phosphore ou de l’huile de lin bouillante[4]. Quand ils veulent transmuer un métal ordinaire en métal noble, les alchimistes, dans leur langage imagé, parlent de le « revêtir du manteau royal ». Le phénomène de la précipitation du cuivre par le fer dans le vitriol bleu est considéré comme un fait de transmutation indubitable[5] : ou dit que le métal « dépose l’armure de Mars et revêt la robe de Vénus ».

Dans le courant du xviie siècle, le prestige du péripatétisme, en tant que doctrine philosophique et scientifique, diminue peu à peu. Mais les théories de qualité qui sont nées de lui continuent à dominer la chimie, peut-être d’une manière plus absolue encore, précisément parce que débarrassées de l’appareil purement logique de la doctrine d’Aristote. Puis, vers le milieu du xviiie siècle, se produit le changement important dont nous avons parlé au VIIe chapitre (p. 214). La multiplicité même des expériences sur la transmutation a amené la ruine de cette hypothèse. Et alors, comme on a appris peu à peu à

  1. Cf. Berthelot. Les Origines de l’Alchimie. Paris, 1885, p. 208.
  2. Encore Kunckel au xviiie siècle fondait sa croyance à la transmutation sur le changement de couleur que l’or éprouve quand on le traite par le sel ammoniaque ou le borax (Kopp. Alchemie, I, p. 61 ss).
  3. Ib., I, p. 53, 249.
  4. Ib., p. 250.
  5. Kopp (ib., p. 46) croit que c’était la seule recette de transmutation métallique vraiment efficace ; la véritable nature de la réaction a été expliquée par Angelo Sala, au début du xviie siècle.