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porteurs de qualités est tout à fait net. Paracelse qui est entièrement pénétré de ces théories[1], expose qu’on retrouve toujours, à l’analyse, les mêmes trois éléments. Ce qui brûle est le soufre, ce qui fume et sublime est le mercure, et ce qui demeure comme résidu après la combustion est le sel. Rien d’autre ne brûle que le soufre[2] et l’on infère inversement, par la combustibilité d’un corps, qu’il contient du soufre.

Il est d’ailleurs à peine besoin de faire ressortir combien cette conception se rattache étroitement au fond même de la doctrine philosophique de l’époque. Parce que les corps combustibles constituent une classe, un genre, on en conclut qu’ils doivent contenir un élément commun, et cet élément, hypostase de la combustibilité, qualité commune qui réunit les diverses espèces, est par là même une hypostase de « l’idée » du genre « combustible ». Ce genre est une subdivision d’une classe supérieure de concepts, ainsi qu’il appert du terme « matière combustible » ; ce concept particulier est donc formé d’un autre plus général matière, auquel s’ajoute (accède) un déterminant. Si ce dernier n’est pas quelque chose qui naît et disparaît sans que l’on doive en indiquer la raison, mais au contraire, comme chez Scot Erigène, quelque chose qui persiste et ne fait que changer de place, il devient lui-même une sorte de substance.

En poussant jusqu’au bout cette doctrine, on arrive à représenter le monde matériel comme un ensemble composé, en dehors d’une substance fondamentale qui représente le concept le plus général de matière, de toute une série de substances secondaires hypostasiant les qualités. Le système le plus complet qui ait été imaginé dans cet ordre d’idées a eu pour auteur un philosophe du xviie siècle, Claude Guillermet, seigneur de Bérigard. Mais quoique, nous venons de le voir, ces idées sur la substantialisation des qualités découlent, par une évolution légitime, des conceptions péripatéticiennes, le système de Bérigard n’est plus uniquement tributaire du péripatétisme. C’est au contraire une atomistique, mais, selon l’expression de M. Lasswitz, qui a attiré l’attention sur cette

    éléments d’Aristote et ceux des chimistes, le phlegme est l’eau, le principe spiritueux ou mercuriel l’air, le principe sulfureux ou huileux le feu, le principe salin la terre.

  1. Paracelse est l’initiateur de l’iatrochimie. Mais nous avons vu (p. 213 ss.) que les théories sur les éléments restent à peu près les mêmes. Le but seul de la chimie se modifie.
  2. Paracelsus, Œuvres, éd. Huser. Bâle, 1589. Paramirum, l. Ier, p. 74.