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CHAPITRE X

LES THÉORIES NON MÉCANIQUES

En traitant de l’explication possible du changement d’état d’un corps par le déplacement (p. 84) nous avons reconnu que deux voies nous sont ouvertes. Nous pouvons supposer que l’arrangement ou le mouvement des parties du corps s’est modifié : c’est l’explication mécanique ; mais nous pouvons prétendre aussi qu’à la substance du corps s’en est jointe une autre, invisible mais préexistant autre part. Si nous appliquons cette méthode d’explication au phénomène calorique, nous aboutirons à la théorie de la chaleur-fluide. En général, nous édifierons des théories d’une classe différente de celle des théories mécaniques et qu’on peut désigner sous le terme générique de « théories de la qualité ».

Nous venons de voir, au chapitre précédent, que la véritable qualité, le quid proprium de la sensation, n’a pas de place dans le mécanisme. La sensation y reste, quoiqu’on fasse, inexplicable. Est-il possible de procéder autrement que ne le font les théories atomiques ? Il faudra, évidemment, partir de la sensation et l’objectiver. C’est ce que nous faisons constamment et instinctivement. Nous avons la sensation du rouge, mais au lieu de la traiter comme quelque chose nous appartenant, nous la transportons en dehors de nous, nous la lions à d’autres sensations, en formant ainsi ce que nous appelons un objet dont nous affirmons l’existence ; c’est ainsi que ce qui était primitivement notre sensation devient une qualité de l’objet : l’objet est rouge. C’est là ce qu’on appelle le « sens commun » — les philosophes disent le « réalisme naïf » : c’est en effet un « système » métaphysique, un ensemble de conceptions sur les causes de nos sensations, sur la « chose en soi ».

Or, il est facile de constater que le sens commun admet qu’un objet puisse changer une partie de ses qualités et pour-