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ment une vue qui, comme le dit M. Poincaré « a quelque chose de choquant pour l’esprit[1] » et dont notre imagination cherchera toujours à s’affranchir. Elle y est parvenue, comme on sait, dans ce cas particulier, et la prétendue « économie » de la nature s’est transformée pour nous en une sorte de prodigalité, puisque nous supposons que des ondulations naîtraient dans toutes les directions si elles ne se compensaient mutuellement.

Lange a déclaré que toute intrusion de causes finales qu’on ferait intervenir à côté des forces agissant selon la nécessité ne pourrait avoir d’autre sens que de fermer arbitrairement aux investigations une partie du domaine de la science[2]. C’est méconnaître que les considérations finalistes peuvent n’être que provisoires. Il nous semble au contraire évident qu’elles sont capables de rendre d’immenses services là où la causalité n’a pu encore pénétrer. Il est certain qu’avant les théories évolutionnistes elles pouvaient seules permettre des vues d’ensemble dans les sciences biologiques. À l’heure actuelle encore, et tout en professant en théorie l’évolutionnisme le plus pur, le biologiste qui étudie le fonctionnement d’un organe raisonnera, la plupart du temps, comme si cet organe avait été, par une volonté consciente et presciente, adapté spécialement à la fonction. Il n’y a là nulle contradiction : le savant a simplement le sentiment, comme tout homme, que l’explication causale est chose lointaine et malaisée et il conçoit l’explication finaliste comme provisoire, comme un acheminement[3].

Certains principes très généraux de la science, comme le principe de moindre action et le principe de Carnot, ont comme une apparence de finalité ; mais on peut voir précisément par ce dernier principe que des considérations finalistes, si elles peuvent nous aider à découvrir des vues d’ensemble sur la nature, ne sont pas susceptibles de satisfaire notre besoin d’explication. Le principe de Carnot, qui affirme que l’état présent doit se modifier au profit d’un état futur à

  1. H. Poincaré. La science et l’hypothèse, p. 154. On peut rapprocher, de cette opinion, celle émise par Descartes et que nous avons citée p. 65.
  2. Lange. Geschichte des Materialismus, p. 14.
  3. C’est à cette conception de la valeur provisoire de l’explication finaliste que nous semblent aboutir aussi les remarquables observations de M. Goblot. Fonction et finalité. Revue philosophique, XLVII, 1899. La finalité sans intelligence. Revue de métaphysique, VII, 1900. La finalité en biologie. Revue philosophique, LVIII, 1904.