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pur. Nous avons fait ressortir (p. 48) dans quel prodigieux lointain ce résultat doit nous apparaître à l’heure actuelle ; mais enfin, nous n’avons pas conscience d’en être séparés par un mur infranchissable, nous ne voyons là aucun inconnaissable, rien de transcendant, à l’exception bien entendu de la sensation et de la volition ; celles-ci sont et resteront éternellement irrationnelles, tout comme l’action transitive dans la nature inorganique, et, à supposer que l’explication d’un être organisé puisse être complète, elles apparaîtront comme des épiphénomènes, puisqu’elles ne sont que la forme intérieure d’un phénomène dont l’aspect extérieur seul est accessible à la science rationnelle.

D’ailleurs, en supposant que cette réduction au mécanisme fût poussée jusqu’au bout, il est clair que l’être primitif, origine de tous les autres, devrait à son tour être conçu comme ayant évolué de la matière inorganique. Cette conclusion peut paraître hasardée au point de vue expérimental, étant donné que les résultats des travaux microbiologiques tendent plutôt à nous faire rejeter la génération spontanée ; elle constitue pourtant le couronnement nécessaire de l’édifice, ainsi que du reste l’ont proclamé d’éminents évolutionnistes.

Si l’on embrasse d’un coup d’œil la marche de la science, on ne saurait méconnaître que la finalité tend à reculer constamment devant la causalité, ainsi que Laplace[1] l’avait déjà affirmé, et comme Sully-Prudhomme[2] l’a pleinement mis en lumière. C’est que notre esprit n’hésite jamais entre les deux modes d’explication : chaque fois qu’une explication causale s’offre, même lointaine, même embrouillée, l’explication finale lui cède immédiatement la place. Que l’avenir soit déterminé par le présent, cela sans doute paraît obscur à notre entendement, obligé de formuler ce postulat afin de pouvoir vivre et agir. Mais que le présent soit déterminé par l’avenir qui n’existe pas encore, qui pourra bien ne pas exister si j’admets mon propre libre-arbitre, si je ne conçois pas le cours de l’univers comme entièrement déterminé, c’est ce qui répugne absolument à la raison. Le seul moyen de diminuer cette répugnance consiste précisément à confondre cause et fin, en supposant la détermination absolue du tout. Alors, en effet, le

  1. Laplace. Théorie analytique des probabilités, Œuvres. Paris, 1886, vol. VII, p. VI.
  2. Sully-Prudhomme et Richet. Le problème des causes finales. Paris, 1903, p. 90.