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cinétique des gaz, l’atome qui est censé n’exercer aucune action à distance, pendant qu’il traverse librement l’espace, c’est-à-dire entre deux chocs, n’agit pas à proprement parler. Sans doute. Mais précisément, pour concevoir qu’il existe dans l’intervalle, nous sommes obligés de supposer qu’il est sans cesse préparé à l’action, que l’action subsiste en lui à l’état de faculté, « en puissance », sans quoi il serait inconcevable qu’il pût l’exercer au prochain choc. M. Rosenberger, l’historien très compétent de la physique, s’est étonné de ce que les lois de la percussion qui constitue pourtant le phénomène fondamental de la physique, celui auquel on cherche à ramener tous les autres, n’aient été étudiées que tard et incomplètement dans un siècle pourtant fort adonné aux expériences[1] ; par le fait la première étude de ce genre est celle faite par Mariotte dans son Traité de la percussion (1677). Mais c’est méconnaître le rôle que l’on destinait à ce phénomène dans les théories mécaniques. S’il devait servir à expliquer les autres phénomènes, à les rendre intelligibles, c’est qu’on le supposait lui-même intelligible. Sans doute, c’était une illusion ; mais nous avons vu (p. 88 ss.) que cette illusion était commandée par la nature même de l’explication mécanique. Il est donc naturel que l’on ait prétendu déduire les règles du choc a priori : les rechercher a posteriori eût été contradictoire, tout au plus pouvait-il s’agir de les vérifier.

Dans le même ordre d’idées, on s’explique aisément pourquoi, ainsi que Cournot[2] et Stallo[3] l’ont établi très minutieusement, l’impénétrabilité n’est pas une notion d’expérience et ne semble même pas suggérée par celle-ci. Il suffit en effet de se reporter à l’opinion de Leibniz que nous avons citée[4]. Ce que Leibniz entend établir, c’est qu’à moins d’accepter une notion de ce genre, toute action mécanique réciproque entre des corps, c’est-à-dire tout phénomène, devient impossible. C’est donc, comme il le dit lui-même, un principe métaphysique et Schopenhauer a admirablement distingué l’essence de ce concept en déclarant que l’impénétrabilité n’était autre chose que le principe d’activité (Wirksamkeit) des corps[5]. Au

  1. Rosenberger. Geschichte, vol. II, p. 175.
  2. Cournot. Traité de l’enchaînement, vol. I, p. 246.
  3. Stallo, l. c., p. 61.
  4. Cf. p. 59 et Appendice I, p. 407 ss.
  5. Schopenhauer. Die Welt als Wille und Vorstellung, vol. I, p. 12-13.