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la gravitation, on se heurte à des difficultés considérables, peut-être invincibles, si on cherche à mettre ce principe d’accord avec le mécanisme.

Peut-on dire que l’axiome soit implicitement contenu dans notre concept même de la chaleur ? Sans doute, car ce concept, tout comme celui de matière, est complexe, et embrasse un ensemble de propriétés dont la plus essentielle est évidemment une tendance à se communiquer. Mais, à l’origine, la chaleur est une sensation que nous transformons en qualité. On pourrait objecter que nous ne ressentons la chaleur que parce que le corps chaud tend à nous la communiquer ; mais le fait que, quand je touche un objet chaud, sa température diminue et celle de mon épiderme augmente, est une observation et, comme telle, n’a rien à faire avec ma sensation immédiate, pour laquelle la chaleur est quelque chose comme la rougeur ou la rondeur : je dis : un corps chaud, un corps froid, dans le même sens où je dis : un corps rouge ou un corps rond. Quand je me figure un corps chaud touchant un corps froid, il n’y a pas plus de « raison » pour que la chaleur passe de l’un à l’autre qu’il n’y en a pour que la rougeur d’un corps passe à un autre qui est vert ou la rondeur à celui qui est rectangulaire. Le fait que la chaleur ait une tendance invincible à « déteindre », comme nous dirions s’il s’agissait de la couleur d’un objet, est d’observation pure, tout comme le fait que les corps tendent à tomber. Et l’on peut se convaincre, pour pousser l’analogie plus loin, que le concept de corps lourd n’inclut nullement, contrairement à ce qu’on affirme quelquefois, celui de mouvement. En le formant, nous pensons à notre effort qui est, en effet, une sensation immédiate ; mais cette sensation est totalement différente de celle du mouvement, elle en est indépendante et ne saurait s’en déduire.

D’ailleurs, pour la gravitation comme pour la chaleur, l’évidence ne s’établit que tant qu’il s’agit de phénomènes simples ; notre conviction est ébranlée dès qu’ils se compliquent. Qu’un corps doive tendre à tomber constamment et ne puisse point remonter par son propre poids, cela nous semble incontestable ; pourtant notre entendement ne parvient pas, sans le secours du principe de causalité, à concevoir comme impossible a priori le mouvement perpétuel, même purement mécanique, pourvu qu’il soit réalisé par des moyens compliqués (p. 189). De même, nous demeurons bien assurés que la cha-