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CHAPITRE VIII

LE PRINCIPE DE CARNOT

Le principe qui porte le nom de Sadi Carnot date du précieux opuscule paru en 1824 et intitulé Réflexions sur la puissance motrice du feu, opuscule qui constitue le seul titre scientifique de cet homme de génie enlevé si prématurément et dont l’œuvre, au témoignage de Lord Kelvin et de M. Lippmann[1] n’a été dépassée par aucune autre dans le courant du xixe siècle. Carnot énonce ce principe sans emphase aucune, pour ainsi dire en passant ; il semble ne l’apprécier que parce qu’il lui permet de formuler des règles pour le fonctionnement des machines thermiques, dont l’établissement est le seul but ostensible de son travail ; à y regarder de plus près, on s’aperçoit cependant qu’il avait conçu le principe dans toute sa généralité et qu’à ce point de vue la postérité n’a pu y ajouter que fort peu de chose.

Il est possible qu’en dépit de la merveilleuse clarté et simplicité de l’opuscule, la manière dont Carnot avait exposé ses idées ait contribué au peu de compréhension dont témoignèrent à leur égard ses contemporains et à l’oubli étrange auquel elles furent vouées pendant plus de trente ans ; la façon dont Clapeyron exposait l’enseignement de son maître, y fut sans doute aussi pour beaucoup, comme on l’a remarqué ; enfin, à partir des travaux de Mayer et de Joule, le fait que Carnot avait cru devoir s’en tenir à la conservation du calorique (bien qu’il eût déjà, à cette époque même, conçu la chaleur comme un mouvement[2]) contribua également à détourner l’attention. Mais nous verrons tout à l’heure que cet accueil s’explique peut-être aussi par l’action d’une cause plus profonde.

  1. Lippmann. Cours de Thermodynamique. Paris, 1886, p. 3.
  2. Cf. plus haut, p. 175, note 2.