Reportons-nous à l’énoncé du principe de la raison déterminante donné par Leibniz : « jamais rien n’arrive sans qu’il y ait une cause ou du moins une raison déterminante, c’est-à-dire quelque chose qui puisse servir à rendre raison a priori pourquoi cela est existant plutôt que de toute autre façon[1]. » La première partie de la formule « jamais rien n’arrive » paraît avoir trait au devenir seul, mais dans la seconde partie Leibniz, par une sorte de saut mental, va évidemment plus loin, puisqu’il demande une raison de ce qui « est existant ».
Un autre passage que nous empruntons à un opuscule récemment mis au jour par M. Couturat est peut-être plus clair encore. « C’est pourquoi, dit Leibniz, il faut rendre raison même des choses éternelles ; si l’on suppose que le monde a existé depuis l’éternité et qu’il n’y a en lui que des globules, il faut rendre raison pourquoi ce sont des globules plutôt que des cubes[2]. »
Il n’est pas douteux que c’est au principe ainsi étendu qu’il pensait en protestant contre l’attribution aux substances de qualités quelconques. « Ainsi, dit-il, dans l’ordre de la nature (les miracles mis à part) il n’est pas arbitraire à Dieu de donner indifféremment aux substances telles ou telles qualités ; et il ne leur en donnera jamais que celles qui seront naturelles, c’est-à-dire qui pourront être dérivées de leur nature comme des modifications explicables[3]. » Wolf a donc réellement résumé les enseignements de son maître quand il a formulé : Nihil est sine ratione cur potius sit quam non sit, et cette formule qui, nous l’avons vu, a été adoptée textuellement par Schopenhauer[4], indique clairement qu’il s’agit de la raison de l’être et non de celle du devenir seulement.
Nous avons demandé tout à l’heure : pourquoi les choses ont-elles changé ? et la causalité nous a répondu : elles n’ont pas changé, elles sont restées les mêmes. Nous demandons maintenant : pourquoi, à supposer qu’elles soient telles de toute éternité, sont-elles ainsi et non autrement ? Évidemment, les deux questions répondent à un seul et même mode de la pensée. Le monde extérieur est pour nous une vérité de fait, une vérité fortuite ; nous voudrions l’expliquer, le con-