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est du même avis[1]. Il est d’ailleurs facile de se rendre compte que cette notion fait même en quelque sorte partie intégrante du principe de la conservation de la matière. C’est là précisément cette partie indéterminée, mais fort importante du principe dont nous avons parlé plus haut (p. 137).

Je brûle un morceau de soufre à l’aide d’oxygène et je recueille l’anhydride sulfureux ainsi produit. D’autre part, je fabrique de l’eau en combinant de l’oxygène avec de l’hydrogène et, en y faisant dissoudre du potassium, une solution de potasse ; finalement je fais absorber l’acide sulfureux par cette solution. J’obtiens ainsi du bisulfite de potasse. Évidemment, dans toute cette série d’opérations, le poids a dû se conserver, c’est-à-dire que si j’additionne d’une part les poids des matières que j’ai fait entrer dans ces combinaisons multiples : soufre, oxygène, hydrogène et potassium, et d’autre part ceux des produits obtenus, sulfite de potasse et produits accessoires comme l’hydrogène qui a été régénéré par la dissolution du potassium, etc., les deux sommes se trouveront rigoureusement égales. C’est le principe de la conservation de la matière ; mais est-ce tout le principe ? Ne puis-je énoncer rien de plus au point de vue de cette conservation ? Je puis au contraire affirmer que non seulement les poids, mais encore les matières elles-mêmes se conserveront, que le soufre restera soufre, l’oxygène, oxygène et ainsi de suite. La preuve en est que je n’hésite pas à désigner mon produit final par le symbole KHSO3. Sans doute, on peut à la rigueur affirmer que cette formule signifie, non pas que ces corps élémentaires se trouvent actuellement contenus dans le bisulfite, mais uniquement qu’ils peuvent en être dégagés dans certaines conditions. C’était l’avis de Henri Sainte-Claire Deville[2], et M. Ostwald semble également y incliner[3]. Dans cette hypothèse, les éléments disparaîtraient dans les combinaisons. Cela n’a, en soi, rien de paradoxal. Des problèmes de ce genre ont été à maintes reprises posés en chimie et n’ont pas toujours reçu des solutions identiques. Ainsi, on peut se demander si l’eau que nous voyons s’ajouter facilement, dans certaines conditions, aux molécules des corps y subsiste après

  1. M. Étard. Revue générale des sciences, vol. XIV, p. 450, en énumérant les lois spéciales à la chimie, attribue la première place à l’énoncé : « Il existe des éléments spécifiques indestructibles ».
  2. Cf. Duhem. Le mixte, p. 164.
  3. Ostwald. Vorlesungen ueber Naturphilosophie. Leipzig, 1902, p. 287.