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immatérielle et intellectuelle elle-même qui guide le progrès de la nature ; mais s’il en est ainsi, il est absolument impossible de concevoir que ces forces soient quelque chose de mortel ou de périssable. Sans aucun doute, par conséquent, elles doivent être regardées comme impérissables[1]. » Ainsi Colding estime qu’il suffit d’établir la haute importance de la notion de force, d’exalter pour ainsi dire le rang de cette notion, pour en déduire que la force doit être une substance, qu’elle doit se conserver. La forme quasi-théologique du raisonnement rappelle d’ailleurs celle de la déduction analogue de Descartes à propos de l’inertie (p. 130).

Joule semble, à première vue, procéder par induction. « Ayant démontré que la chaleur est engendrée par la machine magnéto-électrique… il devient très intéressant de rechercher si un rapport constant existe entre cette chaleur et la force (power) mécanique gagnée ou perdue[2]. » Rien, semble-t-il, de plus correct, au point de vue des principes du raisonnement a posteriori, que de poser le problème de cette manière. Seulement, une fois ces expériences instituées, comme leurs résultats étaient, nous l’avons vu, fort divergents, Joule, au lieu d’en conclure que ce rapport n’était pas constant, mais variable, a tiré une moyenne du tout et l’a proclamée comme la valeur réelle dudit rapport ; c’est donc qu’il était convaincu d’avance de sa constance.

D’ailleurs Joule a eu bien soin d’indiquer quelles étaient les sources de cette conviction. « Nous pourrions déduire a priori, dit-il dans un travail un peu postérieur, qu’une telle destruction absolue de force vive (mv²/2) ne saurait avoir lieu, car il est manifestement absurde de supposer que les forces (powers) dont Dieu a doué la matière puissent être détruites par l’action de l’homme ou créées par celle-ci ; mais nous ne sommes pas réduits à cet argument seul, quelque décisif qu’il doive paraître à tout esprit dénué de préjugé[3]. » M. Mach, à propos de ce passage, observe plaisamment que Joule n’aurait sans doute pas consenti à soumettre son affirmation concer-

  1. A. Colding. Lettre aux rédacteurs du Philosophical Magazine sur l’histoire du principe de la conservation de l’énergie, trad. Verdet. Annales de Chimie et de Physique, IVe série, vol. I, 1864, p. 467. Le travail original de Colding inséré dans les actes de l’Académie de Copenhague, 1843, ne paraît avoir jamais été traduit dans une langue plus accessible.
  2. Joule, l. c., p. 435.
  3. Joule. Scientific Papers. Londres, 1884-87, p. 268.