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difficile de comprendre que la masse entière de la terre soit absolument perméable à l’attraction du soleil, ainsi que l’exige la théorie des marées. La gravitation semble, pour ainsi dire, ignorer l’espace intermédiaire et les obstacles qui y sont accumulés : nous retrouvons là cet aspect anti-spatial du concept qui nous avait frappé plus haut (p. 70 ss.).

L’association entre le poids et la masse apparaît aux physiciens comme purement fortuite, accidentelle[1]. C’est au point que M. Boussinesq[2], par une théorie curieuse qui compte M. Ostwald au nombre de ses partisans[3], a cherché à expliquer cette association par une sorte d’évolution de notre univers, évolution qui aurait eu pour conséquence d’éloigner toute matière où cette association ne se trouvait pas accomplie.

En imaginant l’éther, les physiciens ont été obligés de le douer de masse ; il a été en effet créé pour agir, et la masse est le principe de l’action mécanique ; mais l’éther n’a pas de poids, il est impondérable par définition : nous avons vu d’ailleurs que dans le passé aussi on avait eu recours à ces fluides impondérables et pourtant agissants, c’est-à-dire doués de masse. En spéculant sur la constitution de la matière, les physiciens ont souvent eu soin de ne pas séparer éther et matière pondérable par un abîme infranchissable : il y a là, nous le verrons plus tard, une tendance inhérente à l’esprit humain, tendance dont on peut suivre aisément les manifestations depuis Descartes, dont les divers éléments ont une même origine, jusqu’à Tait et Thomson qui constituent leurs atomes à l’aide d’anneaux d’éther. On ne peut donc pas dire que l’idée d’après laquelle la matière pondérable pouvait se résoudre en quelque chose d’impondérable ait jamais paru véritablement inadmissible, et à ce point de vue les nouvelles théories qui se rattachent à la découverte des corps radioactifs ont trouvé le terrain tout préparé.

C’est sans doute parce qu’ils confondaient la masse et le

  1. Selon la théorie électrique de la matière, une variation du poids à la suite d’une réaction chimique n’aurait rien de surprenant. Cf. Rutherford, l. c., p. 474. Il est à remarquer que M. J.-J. Thomson a cru devoir établir, par voie expérimentale, la proportionnalité du poids et de la masse pour certains corps radioactifs.
  2. Cf. Guillaume. Revue générale des sciences, vol. VIII, 1897, p. 56.
  3. Ostwald. Vorlesungen ueber Naturphilosophie. Leipzig, 1902, p. 180, 192.