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laquelle l’eau, par l’ébullition, se changeait en terre ; on en donnait pour preuve que l’eau bouillie longtemps dans un vase de verre fournissait à l’évaporation un résidu terreux. Lavoisier fait chauffer de l’eau pendant cent jours, dans un appareil appelé pélican, où le produit de la distillation retourne dans le vase. Il s’était procuré une balance très précise et avait soigneusement relevé la limite des erreurs de cet instrument ; il entoure son expérience de précautions multiples de nature à garantir l’exclusion de toute matière étrangère. Il pèse l’appareil vide et le repèse rempli d’eau ; il repèse aussi le tout après l’expérience et constate que le poids est presque rigoureusement le même ; d’où une première conclusion, à savoir qu’il n’y a pas, dans ce cas, de matière du feu passant à travers le verre et se combinant avec l’eau[1]. Il vide l’appareil et relève la diminution du poids. Il rassemble le résidu que l’eau avait déposé pendant l’opération, y joint celui qu’il obtient par l’évaporation de l’eau : les deux ensemble se trouvent à peu près égaux à la perte de poids du pélican. Mais la divergence, cette fois, est beaucoup plus forte que la limite des erreurs de sa balance. En effet, le pélican n’a perdu que 17,4 grains, alors que les deux résidus ensemble pèsent 20,4. Lavoisier, très justement, attribue l’erreur à ce que l’eau a attaqué, non seulement la matière du pélican, mais encore celle des autres récipients avec lesquels elle fut en contact et conclut que le dépôt terreux provenait bien de ces vases. Étant donnée la faible quantité du dépôt, il ne peut le soumettre à beaucoup d’expériences. Toutefois, il en fait une qui ne laisse pas de le troubler quelque peu. La terre obtenue n’est pas fusible, comme l’est le verre à cette température. « J’avoue que cette dernière circonstance formerait une objection assez forte contre ce que j’ai rapporté dans ce mémoire, s’il était possible d’argumenter contre des faits. »

Grimaux relève cette coïncidence curieuse que Scheele, s’occupant du même problème, arriva à un résultat identique par une voie toute différente : analysant le résidu terreux, il

  1. Nous avons vu (p. 149) que telle était, à cette époque, l’explication la plus ordinaire que les chimistes donnaient de l’augmentation du poids des métaux qu’on calcine. Lavoisier lui-même semble l’adopter dans le mémoire en question. « Les physiciens savent, en effet, que la matière du feu augmente le poids des corps dans lesquels elle est combinée » (l. c., p. 16). Mais il se peut que le résultat de ses expériences sur l’eau lui ait inspiré des doutes sur la valeur de cette théorie et c’est ainsi que ce travail se rattache à la série des grands travaux sur l’oxydation.