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parurent les Essays de Jean Rey. Rey a-t-il été influencé par les anciens atomistes ? Cela se peut, car Lucrèce était assez lu à l’époque et, nous l’avons vu, une certaine tradition des théories atomistiques se perpétuait chez les médecins. Cette circonstance ne diminuerait d’ailleurs en rien le mérite de Rey, car ce qui chez Lucrèce n’était qu’inféré, secondaire, apparaît ici pour la première fois comme le « fondement inébranlable », le grand principe qui règle les modifications de la matière. D’ailleurs Rey ne rattache cet énoncé à aucune théorie particulière de la matière. Il tente une sorte de démonstration apriorique du principe. Elle tient en quelques lignes : « Soit prinse vne portion de terre, qui aye en soy la moindre pesanteur qui puisse estre, et au delà de laquelle n’en puisse subsister : que cette terre soit conuerti en eau, par les moyens cogneu et pratiquez par la nature : il est euident que cette eau aura de la pesanteur, puisque toute eau en doibt auoir : or sera-t-elle, ou plus grande que celle qui estait en la terre, ou plus petite, ou esgalle. D’estre plus grande ils ne le diront pas, (car ils professent du côtraire) et ie ne le veus pas aussi : plus petite, elle ne peut, veu que i’ay prins la moindre qui puisse estre : il reste donc qu’elle luy soit esgalle, ce que ie prétendais prouuer[1]. » Évidemment, la déduction est singulièrement faible ; elle repose surtout sur ce fait qu’il considère en grande partie comme donné ce qu’il s’agit de démontrer[2]. On croit presque deviner que Rey lui-même n’attachait pas trop d’importance à cette preuve. Par contre, il se donne beaucoup de peine pour établir que l’air est pesant et qu’il peut être épaissi par diverses opérations. C’est cet air épaissi qui, se mêlant à la chaux de l’étain (Rey semble avoir conçu l’accession de l’air et la formation de la chaux comme deux opérations distinctes[3]) accroît sa pesanteur, étant donné que toute autre cause doit être exclue, ainsi que Rey le démontre avec beaucoup de rigueur, en se fondant sur des expériences d’autrui et aussi sur les siennes propres[4]. En somme, au point de vue du principe de la conservation du poids, Rey établit que, dans deux cas particuliers où l’on pourrait le croire en

  1. Jean Rey. Essays, Réimpression. Paris, 1896, p. 49.
  2. À remarquer que Rey savait fort bien que l’on admettait non seulement la diminution, mais encore l’accroissement du poids à la suite d’une opération chimique (cf. plus haut, p. 141, note 2).
  3. Cf. notre travail sur Jean Rey. Revue Scientifique, VII, 1884, p. 304.
  4. Essays, p. 100-129.