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d’une balance à ressort, cela va sans dire, aurait un poids encore bien plus différent à la surface de la lune. Ces variations, qui proviennent de celles de la constante de la gravitation en ces divers endroits, nous les éliminerons en divisant le poids par cette constante. Nous parvenons ainsi au concept de masse, rattaché à celui de poids par l’équation p = mg, et notre principe se précise finalement comme celui de la conservation de la masse.

Nous allons, dans ce chapitre, nous arrêter à cette définition. Nous verrons plus tard (p. 217 ss.) qu’elle n’épuise pas en réalité tout le contenu du principe, ce dernier renfermant, en outre, un énoncé moins facile à préciser, mais néanmoins fort important.

La conservation du poids de la matière a été formulée dans l’antiquité. C’est ce dont on ne saurait douter en lisant avec quelque attention le De natura rerum. Sans doute le « nil posse creari de nihilo » ne prouve rien : le contexte même démontre clairement que Lucrèce entendait sa formule dans le sens le plus général, c’est-à-dire que c’était bien le principe de causalité lui-même[1]. Mais cette formule, il l’applique aussitôt aux atomes. Ils sont éternels, incréés, indestructibles[2]. Ils sont aussi pesants. Toute matière est pesante, il n’existe pas de corps absolument léger, c’est-à-dire ayant une tendance à monter[3], et le poids est la véritable mesure de la quantité de la matière[4]. Il s’ensuit, de toute évidence, que le poids doit rester constant, et bien que cette règle ne se trouve explicitement énoncée nulle part dans le De natura rerum, on ne saurait douter qu’elle n’ait été ainsi comprise et enseignée dans certaines écoles philosophiques de l’antiquité. Un curieux passage d’un traité attribué à Lucien en fait foi. « Si je brûle mille mines de bois, Démonax, combien y aura-t-il de mines de fumée ? Pèse la cendre, dit-il, la fumée est le reste cherché[5] ». Démonax était un philosophe cynique du iie siècle de notre ère. Il paraît s’être occupé exclusivement de morale, de théologie et de politique[6]. Rien n’indique qu’il ait professé

  1. Lucrèce. De natura rerum, l. Ier, vers 150 ss.
  2. Ib., l. Ier, vers 486-7 et 500.
  3. Ib., l. II, vers 185-186.
  4. Ib., l. Ier, vers 361-363.
  5. Lucien de Samosate. Œuvres, trad. Talbot. Paris, 1882, t. Ier, p. 531.
  6. Cf. J. Bernays. Lucian und die Kyniker. Berlin, 1876, p. 27, 33, 57, 95. Bernays doute que le traité sur Démonax soit de Lucien, mais l’attribue à un contemporain de Démonax.