Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est demeure tel qu’il est. C’est une formule beaucoup plus générale que celle que les physiciens désignent habituellement sous le nom de principe d’inertie, — Kant, bien entendu, le reconnaît, aussi le transporte-t-il dans la métaphysique[1], — et ce n’est évidemment que le principe même de l’identité dans le temps tel que nous l’avons défini. Schopenhauer a donc simplement résumé cet enseignement, en déclarant que le principe d’inertie est apriorique parce qu’il est une conséquence du principe de causalité[2], et Spir est resté dans la même tradition, en le déduisant directement du principe d’identité[3].

Nous pouvons maintenant répondre à la question que nous nous sommes posée : le principe d’inertie est-il a priori ou a posteriori ? Il n’est ni l’un ni l’autre, parce qu’il est l’un et l’autre à la fois. Sans doute, ce principe est susceptible, dans l’état actuel de nos connaissances, d’une démonstration empirique parfaitement valable, quoique indirecte ; mais, en fait, ce n’est pas ainsi que le principe a été établi à l’origine et, actuellement encore, cette démonstration ne constitue point la véritable base de notre conviction. Celle-ci repose sur ce que le principe est susceptible de revêtir une forme qui le fait apparaître comme dérivé du principe causal.

Ce dernier principe est, certes, apriorique. Mais ce n’est pas, nous l’avons vu, un énoncé dont on puisse directement déduire des propositions précises : c’est là ce qui rend caduques toutes les démonstrations aprioriques, de Descartes à d’Alembert et à Spir. En effet, pris à la lettre, le principe d’identité dans le temps signifierait : tout persiste, affirmation aussitôt démentie par l’expérience ; nous n’amenons un accord qu’à l’aide de cette proposition subsidiaire : tout est mouvement. Dès lors l’énoncé devient : certaines choses essentielles persistent. Mais c’est une formule indéterminée, car elle ne nous indique pas quelles sont les choses qui persistent et que, par conséquent, nous devons considérer comme essentielles. C’est l’expérience seule qui peut nous l’apprendre. Mais l’expérience joue en cette matière un rôle particulier, en ce sens qu’elle n’est pas libre, car elle obéit au principe de causalité que nous

  1. Cf. plus bas p. 159.
  2. « Das a priori gesicherte, weil aus der Causalitæt folgende Gesetz der Traegheit. » Schopenhauer. Die Welt als Wille und Vorstellung, éd. Frauenstædt. Leipzig, 1877, vol. I, p. 79.
  3. Spir. Pensée et réalité, p. 411, 419, cf. Préface de Penjon, p. IX.