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Mais on ne pouvait certainement alors traiter cette théorie comme une vérité hors de contestation, telle qu’elle nous apparaît aujourd’hui, et si on établissait un lien logique entre l’inertie (ou la relativité du mouvement, comme chez Cusa) et le mouvement de la terre, c’était pour appuyer la seconde de ces conceptions sur la première et non inversement. Il y avait même là, depuis les travaux de Galilée et jusqu’aux découvertes de Newton, une source de contradiction manifeste, et si Galilée a maintenu, tout comme Copernic, la conception du mouvement circulaire naturel des corps célestes, c’est certainement parce qu’il ne voyait pas d’autre moyen d’expliquer leurs orbites. Personne, avant Borelli, n’a attribué le mouvement des corps célestes à l’action de l’inertie[1].

Dès lors on peut se demander comment, en dépit de ces difficultés, en dépit de son apparence profondément paradoxale, en dépit du fait qu’une démonstration médiocrement convaincante était seule possible à l’époque, le principe d’inertie a pu être si rapidement accepté comme le fondement de la mécanique entière. Voyons d’abord de quelle manière l’ont présenté Galilée et Descartes.

On a quelquefois traité Galilée de grand expérimentateur ; mais c’est là, nous dit P. Tannery avec beaucoup de justesse, méconnaître complètement la vérité historique[2]. Ainsi, à propos de l’inertie, il parle bien de pierres tombant du haut d’un mât sur un navire en marche[3] et d’animaux marchant à bord d’un navire[4], et il paraît avoir réellement fait ces expériences ; mais ce sont pour lui des confirmations sur lesquelles il n’insiste pas trop. Cependant, en exposant le principe, il semble s’appuyer sur des faits observés : c’est l’expérience de la bille sur un plan, qui se trouve déjà chez Cusa et chez Benedetti. Voici en quels termes Galilée l’expose dans la Sixième journée des Dialogues sur les nouvelles sciences : « Et il me semble qu’il arrive ici ce qui arrive pour un mobile grave et parfaitement rond lequel, si on le pose sur un plan très poli et quelque peu incliné, le descendra de lui-même naturellement en acquérant une vitesse toujours plus grande ; mais si, au con-

  1. Cf. à ce sujet p. 123, note 4.
  2. P. Tannery. Galilée, Revue générale des sciences, vol. XII, 1901, p. 335-337.
  3. Galilée. Dialogo interno ai due massimi sistemi, Œuvres. Florence, 1841, vol. I, p. 165 ss. Lettre à Ingoli, ib., vol. II p. 99 ss.
  4. Galilée. Massimi sistemi, p. 206.