Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la manière dont nous procédons réellement. Pour calculer des mouvements sur la terre, nous nous servons le plus souvent de coordonnées rattachées à cette dernière, sans tenir compte de la rotation, parce que nous savons par expérience que le mouvement d’un point de la surface terrestre peut être considéré, dans ces cas, comme inertial, à cause de la faible vitesse angulaire de la rotation. Pour les mesures astronomiques, nous nous servons de coordonnées orientées d’après les points de repère de la voûte céleste, ce qui a l’avantage de permettre une détermination très rigoureuse. Mais c’est que nous avons la conviction, confirmée par l’expérience de Foucault, que ce sont ces coordonnées qui règlent les plans de rotation. Mais que l’on suppose une planète ayant un mouvement de rotation très rapide et dont l’atmosphère serait chargée de vapeur, de sorte que les habitants ne pourraient pas apercevoir le ciel : le pendule et le gyroscope pourraient leur fournir des systèmes de coordonnées invariables. La conception de M. L. Lange, par contre, paraît quelque peu artificielle : ses trois points matériels sont entièrement idéaux[1]. Mais l’un et l’autre de ces deux systèmes n’infirment aucunement la démonstration de Newton : le « corps fondamental de M. Streintz ou le « système inertial » de M. L. Lange ne sont au fond, comme l’a reconnu M. Mach[2], que des surrogats du système de coordonnées se rattachant aux « toiles fixes. Si l’on affirme comme M. L. Lange que, pour les trois premiers points considérés, il n’y a là qu’une convention, c’est, ou bien qu’on refuse de tenir compte du fait que l’orientation du système de coordonnées reste invariable par rapport à certains points de la voûte céleste, ce qui lui enlève ce caractère conventionnel, ou bien que l’on se sert du terme convention dans un sens particulier. Rien ne nous empêche, en effet, de concevoir que la voûte céleste, c’est à-dire l’univers visible tout entier, exécute un mouvement quelconque dans l’espace vide, hormis le fait qu’une telle supposition serait parfaitement oiseuse et que ce serait là transgresser la loi essentielle de la pensée qui fait le fond de la célèbre maxime par laquelle Occam interdit de « créer des êtres sans nécessité ». Et sans doute chaque fois que nous obéissons à

  1. Cette conception présente encore l’inconvénient de faire dépendre la mesure du temps du principe d’inertie (cf. plus haut p. 20 ss).
  2. E. Mach. La Mécanique, trad. Bertrand. Paris, 1904, p. 233, cf. aussi Kleinpeter, Arch. fuer systematischc Philosophie, VI, 1900, p. 469.