Page:Meyerson - Identité et réalité, 1908.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’en passer là où cela est possible et, à ce point de vue, la manière ultérieure de Galilée, la décomposition de la trajectoire en un mouvement constant dans le temps et un autre mouvement uniformément accéléré, vaut certainement mieux. Mais enfin ce serait là une démonstration fondée sur des expériences, et même des expériences difficiles à réaliser à cause des frottements, de la résistance de l’air, etc., et non point une déduction a priori. Ou bien, si l’on veut maintenir cette dernière, on sera obligé de rejeter la théorie de Benedetti parce qu’elle suppose la variation d’un phénomène dans le temps ; on dira que c’est une variation « sans raison ». Qu’est-ce à dire ? Nous avons à peine besoin de l’expliquer : c’est une application évidente du postulat de causalité, de l’identité dans le temps, et l’on voit que ce postulat forme la base véritable de la démonstration, en apparence si rigoureuse, de d’Alembert.

On a tenté de démontrer le principe d’inertie par une autre voie encore, quoique également par déduction, en se fondant sur ce qu’on appelle la « relativité » du mouvement ou de l’espace, conception fort ancienne, puisqu’elle se trouve chez Sextus Empiricus et chez Nicolas de Cusa[1]. La démonstration la plus complète de ce type est celle exposée par Kant dans les Premiers principes. « Tout mouvement, dit-il, en tant qu’il est l’objet d’une expérience possible, peut à volonté être considéré, soit comme le mouvement d’un corps dans un espace en repos, soit au contraire comme le mouvement de l’espace dans le sens opposé et avec une égale vitesse, le corps étant en repos[2]. » C’est la conséquence du fait qu’un mouvement absolu, c’est-à-dire un mouvement qui ne serait pas conçu par rapport à des corps matériels placés dans l’espace (Kant formule : « se rapportant à un espace non matériel ») n’est pas susceptible de devenir un objet d’expérience et par conséquent « est pour nous un néant », l’espace absolu n’étant « rien en soi » et n’étant pas « un objet[3] ». Or, la matière est inerte, « tout changement de la matière a une cause exté-

  1. Cf. p. 99. — On sait que Descartes l’a formulée avec beaucoup de rigueur. Principes. Paris, 1668, IIe partie, chap. xxviii, titre : « Que le mouvement en sa propre signification ne se rapporte qu’aux corps qui touchent celuy qu’on dit se mouvoir. »
  2. Kant. Premiers principes métaphysiques de la science de la nature, trad. Andler et Chavannes. Paris, 1891, p. 21.
  3. Ib., p. 14 ; cf. ib., p. 87.